Hisham MATAR: Un mois à Sienne

Hisham MATAR: Un mois à Sienne

À dix-neuf ans, Hisham Matar développe une mystérieuse fascination pour l’école siennoise de peinture. La même année, il perd toute trace de son père, probablement disparu dans les geôles de Kadhafi. Il faudra à l’écrivain plus de vingt ans pour se rendre enfin à Sienne. Au coeur de la Toscane, cette ville longtemps évitée lui révélera, contre toute attente, une part de lui-même. Ponctué de tableaux, ce récit est une invitation au voyage et une bouleversante réflexion sur l’art et la littérature, ces élans pleins d’espoir qui nous relient à ceux que l’on aime et à ceux que l’on a perdus. (4e de couverture)

J’ai ramené d’un récent voyage à Sienne ce petit livre d’Hisham Matar, dont le libraire m’avait dit là-bas à l’occasion beaucoup de bien. Et je comprends, après l’avoir lu, ce qu’un libraire siennois pouvait trouver de si beau dans un tel livre. Sienne est aujourd’hui une ville d’Italie un peu à part, à l’écart des grands axes de communication. Une ville qui n’a pas grandi, ou très peu, depuis qu’à la fin du Moyen-Âge, au sommet de sa puissance, dont il reste dressé au sommet de la ville le rêve du projet fou d’une cathédrale qui n’a pas été achevée, elle se voyait comme une sorte de nouvelle Rome, en miniature, étalée entre ses sept collines. Se promener dans Sienne, préservée jusqu’à aujourd’hui dans son écrin de collines, c’est s’ouvrir à une conversation avec le paysage rendue bien difficile dans la plupart des villes qui ont grandi au delà de la mesure du regard, inventant cet espace urbain, la banlieue ou la périphérie, et isolant les centres urbains du territoire où ils ont grandi et qui dans une certaine mesure les a produits. Ce qui frappe à Sienne, c’est cette respiration maintenue de l’espace intérieur, urbain, et de l’espace extérieur d’une campagne entretenue, dont la fresque de Lorenzetti, Les Effets du bon gouvernement, visible au Palazzo Pubblico (enfin, quand j’y étais les fresques de Lorenzetti étaient en restauration!) offre une représentation remarquable.

Né à New York, Hisham Matar a grandi en Lybie, son pays, où son père a été assassiné dans les geôles du régime de Kadhafi. Ayant achevé un livre, pour lequel il est retourné en Lybie, et dont il est ressorti en sachant qu’il serait condamné à faire le deuil de connaître les conditions dans lesquelles son père est mort, Hisham Matar se rend à Sienne, comme une respiration, espérant y admirer les tableaux de ces peintres de l’Ecole siennoise, pour lesquels il a développé une véritable passion, depuis les années où, étudiant à Londres, il apprenait l’enlèvement puis la disparition de son père.

Ce mois à Sienne est donc l’histoire d’une reconstruction. D’abord en compagnie de son épouse, une photographe qui l’accompagne jusqu’à Sienne, puis seul, Hisham Matar déambule dans la ville, se livrant à divers protocoles, comme de suivre des passants pour mettre ses pas dans ceux de vrais siennois, ou de se rendre jusqu’à l’une des portes de la ville et poursuivre jusque dans la campagne, il se rend dans un cimetière, remet le moment de découvrir ces tableaux qui l’ont entraîné jusqu’ici, fait des rencontres, prend des cours d’italien, puis se rend finalement chaque jour au musée, où il se livre à sa passion de s’abandonner pendant des heures à la contemplation d’un tableau, d’entrer pour ainsi dire dans le tableau à la recherche de la représentation que celui-ci peut lui livrer, de son propos singulier, et il livre au passage au lecteur quelques commentaires instruits et sensibles de certains des chef d’oeuvre de ces peintres qui justement font vibrer tout voyage à Sienne: Duccio, Simone Martini, les frères Lorenzetti, Sano di Pietro, Giovanni di Paolo.

J’ai refermé le livre en me disant que mon libraire siennois avait bien raison. Et pour un peu je serais presque retourné là-bas, me disant que je n’avais peut-être pas passé assez de temps devant ces tableaux qui ont pourtant occupé l’essentiel de mes journées siennoises. Savoir faire naître le désir d’un lieu dont je revenais à peine n’est pas le moindre des charmes de cette belle déambulation siennoise.

“Il n’y a rien de tel qu’apprendre un nouveau langage pour vous rappeler combien l’œil est fluide et agile, et combien la langue peut être maladroite et récalcitrante. Au milieu du troisième cours, tandis que j’étais assailli de mots nouveaux, je me suis senti dépassé et j’ai failli décamper. C’était comme si j’avais percuté un mur. Et puis c’est passé, et je me suis dit qu’il me faudrait m’en souvenir.

A midi, j’étais libéré, la tête douloureuse, perplexe face à tant de difficultés. Peut-être qu’apprendre une nouvelle langue nous ramène à l’âge où l’on ne peut rien dire du tout, où l’on n’a pas les moyens de communiquer que l’on a faim ou froid ou simplement qu’on ne comprend pas: un peu de cette détresse doit subsister quelque part en nous et se réactiver dans les occasions où nous ne pouvons pas nous exprimer. J’imagine que ma propre expérience jouait aussi, puisqu’à l’âge de onze ans j’ai dû émigrer de l’arabe, ma langue maternelle, vers l’anglais.Quand vous avez été contraint à cette mutation une fois, toute nouvelle perturbation peut représenter un danger mortel.”

Billet publié dans le cadre de l’événement Sous les pavés les pages.

5 réflexions sur « Hisham MATAR: Un mois à Sienne »

    1. Je trouve que les pages sur la peinture sont très réussies en effet. En même temps, c’est aussi un beau texte sur le travail du deuil, sur la ville de Sienne.

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