Peter STAMM: L’un l’autre

Peter STAMM: L’un l’autre

Un soirée agréable de fin d’été, quelque part en Suisse alémanique. Thomas et Astrid reviennent de quinze jours de vacances en Espagne. Ils ont couché les enfants et goûtent, assis sur le banc de bois devant chez eux, à la quiétude du jour finissant, en dégustant un verre de vin. Rappelée à l’intérieur par leur fils Konrad, Astrid a vidé son verre et n’est pas ressortie, continuant à s’affairer dans la maison avant de se coucher. Soudainement Thomas s’est levé, il s’est engagé sur le petit chemin de gravier, il a ouvert le portail en s’efforçant de faire le moins de bruit possible, et puis il est parti. Pour ne jamais revenir…

Comment parler d’un tel livre, si discret dans son écriture sans jeux de manche ni coup d’esbrouffe et si touchant à la fois? Stamm a l’art du mot juste, qui résonne intérieurement. Un récit presque banal dans son propos. C’est l’histoire d’un couple dont l’un des deux un jour part, sans donner d’explication. L’histoire d’une crise personnelle et familiale. Ce roman offre une grande profondeur cependant, malgré cette façon si délicate, presque pudique que l’auteur a d’aborder son sujet. Peut-être parce que cette histoire justement parle de l’essentiel, de ce qui rapproche les êtres et de ce qui les éloigne, au-delà des sentiments ou d’une certaine proximité de vie commune, de la profonde solitude de chacun, source à la fois de joie et de frustration, mais aussi de la permanence des liens de ceux qui se sont aimés, au-delà de la séparation physique, des désirs, du couple comme un renoncement, mais aussi comme un épanouissement, des autres vies qu’on aurait pu mener, des autres mois possibles. Je découvre avec Peter Stamm un écrivain, dont j’avais croisé déjà plusieurs fois le nom, à l’occasion de telle ou telle escapade en Allemagne ou en Suisse, où ses livres figurent en bonne place sur les tables des libraires. Et je crois que cet écrivain, cette voix ne vont pas me lâcher de sitôt.

Alors comment en parler? Il faudrait décrire cet art du récit faussement simple, qui consiste à alterner le point de vue de Thomas et d’Astrid: lui, Thomas, dans sa course vers le sud (on comprend que le couple doit habiter quelque part en Thurgovie, au nord de Zurich), vers ce cœur mythique de la Suisse que sont la montagne, les Alpes- et c’est cette course, cette randonnée que Stamm nous donne à suivre à travers des retrouvailles avec la nature qui ont quelque chose d’élégiaque, mais dont on ne tarde pas à comprendre non plus qu’elles sont une fuite sans issue; elle, Astrid, qui tente de continuer à porter sa maison, sa famille, cet ordre intime à quoi elle a tant sacrifié, par amour, par une certaine représentation conventionnelle aussi de son rôle d’épouse, de mère, qui s’efforce également de se reconstruire dans l’éloignement d’un homme qu’elle continue à aimer et à sentir proche d’elle d’une certaine façon.

Mais il y a dans le récit conduit alternativement du point de vue de l’un et de l’autre des effets de décalage, de tension et de rétractation, tout un art savant de la distance temporelle entre deux récits, quasi syncopés, qui parfois se chevauchent, puis s’écartent et se rapprochent à nouveau, et qui font respirer le texte, de même qu’au cours des recherches que la police engage puis Astrid elle-même pour retrouver Thomas, les deux époux vont se retrouver à un moment donné tout proche, sans le savoir, avant de se retrouver de nouveau éloignés, comme il arrivait déjà dans cette matrice universelle du roman que sont les tout premiers romans de l’Histoire, les romans grecs et latins, qui bien souvent justement sont des histoires d’amour, d’éloignement contraint, d’enlèvement ou de charme, et de séparation.

Et puis, à un moment donné, Thomas tombe dans une crevasse. Mais le récit se poursuit quand même. Il prend une nouvelle dimension. Et révèle tout le potentiel romanesque du dispositif narratif au moment où celui-ci risquait d’apparaitre comme trop systématique. Et va trouver à dire des choses encore plus subtiles sur l’effondrement du couple, les aspirations avortées, le temps qui passe, la reconstruction de soi différente selon les générations, la tentation du désir. Ce livre est un petit bijou, vraiment.

Billet publié dans le cadre des Feuilles allemandes 2023, une rencontre initiée par Eva et Livr’escapades.

LC Peter Stamm

Valérie m’a suivi dans ce choix de lecture.

Patrice a lu Paysages aléatoires.

Karin a lu Sept ans.

Livr’escapades a lu Agnès.

11 réflexions sur « Peter STAMM: L’un l’autre »

  1. Quelle belle chronique pour ce magnifique roman! Comme toi, j’ai découvert Stamm avec “L’un l’autre” et ce fut une révélation. Je suis vraiment ravie de lire tes mots enthousiastes, merci pour ta lecture et ta participation. Pour ma part, j’ai lu pour aujourd’hui son premier roman, “Agnès”.

  2. C’est un vrai plaisir de te compter parmi nous pour cette lecture commune ! Je suis très heureux de lire ton billet très enthousiaste où l’on sent comment tu fus sensible à l’écriture de Petr Stamm. Je le lisais également pour la première fois et je te rejoins sur la fausse simplicité du récit. Il sait nous faire toucher au plus profond ce qui anime les êtres.

    1. Cette lecture commune a été une belle découverte pour moi. Cela faisait des années que je voyais ce nom de Perer Stamm, notamment à l’occasion de séjours en Allemagne, mais je ne me serais jamais lancé je crois sans ce rendez-vous. Une lecture à poursuivre je pense.

  3. Encore un billet sur cet auteur que je ne connais pas, mais qui me donne vraiment envie de le découvrir. Je crois que j’aimerais ses histoires et son style. Je retiens pour les prochaines feuilles allemandes et peut-être même avant.

    1. J’ai beaucoup aimé cet auteur, je pense que cela se sent, et j’espère que tu pourras le decouvrir à ton tour bientôt. Patrice a suggéré l’idée d’une nouvelle lecture commune de Peter Stamm. Ce serait peut-être l’occasion…

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