Christoph MECKEL: Portrait-robot. Ma mère

Christoph MECKEL: Portrait-robot. Ma mère

Je fais un rapport sur ma mère alors qu’elle vit encore. Au début, cela m’a paru étonnant. Je me suis demandé s’il était possible de le faire sans rien déformer ou ne préjuger de rien, sans que cela ne nous nuise, à elle et à moi. Les phrases sont préparées par une distance qu’un éloignement de plusieurs dizaines d’années transforme en parole et elles touchent directement un point central: je n’ai pas aimé ma mère. Une telle expérience – elle est devenue vieille – peut être à la fois rassurante et effrayante. le manque ne se compare pas à peu ou rien. Il s’est accumulé, imperceptible, à l’arrière-plan de l’enfance, et à très tôt été perçu comme impuissance. Un membre arraché dans l’anatomie de l’âme; un secret qui dissimulait le vide et consumait le vide. Il se matérialisait par un poids mort qu’on peinait à identifier. Il se cristallisait autour de la silhouette d’une femme qui était ma mère, était censé l’être, une mère, qui était mienne, et donc aimée.

Les premières lignes du livre que Christoph Meckel consacre à la figure de sa mère, dans ce travail d’exploration de l’âme intime de l’Allemagne dans lequel il s’est lancé autour de la figure de ses deux parents, promettaient beaucoup. Dans ce récit, conçu comme en dyptique avec Portrait-robot. Mon père, l’auteur fribourgeois explore, à travers les arcanes de la vie familiale et ses interactions avec l’Histoire la conscience intime de son pays. Ce livre ne m’a pas autant emballé que le précédent cependant. Meckel explique lui-même, dans sa postface, la nécessité devant laquelle il s’est trouvé d’entreprendre ce second récit, après celui qu’il avait consacré à Eberhardt Meckel. Il convenait de consacrer un texte à cette mère qui été restée jusqu’à présent dans l’ombre du récit de son mari. Entrepris alors que celle-ci était encore en vie, le texte n’a été publié que plusieurs décennies plus tard, après sa mort.

Il y a de la froideur dans ce récit. Un froideur à la mesure sans doute de ce que l’auteur confesse dès les premières lignes: il n’a jamais aimé sa mère. Cette même froideur que cette mère manifestait à l’égard de ce qui n’était pas elle: une protestante prusienne, en contraste sans doute, voire en contradiction avec ce Breisgau, région méridionale, dans laquelle la famille évolua. Un intellectuelle, qui souffrit elle-même de la mort précoce de son père. Toujours très attachée à paraître, à suivre les convenances. Un personnage en représentation! Sans doute plus clairvoyante que son mari, qui sombra lui moralement sous le nazisme, cédant à ses penchants nationalistes et antisémites, elle donna cependant le change après guerre, sauvant l’image d’un époux apolitique, offrant cette représentation lissée à tous, et d’abord à ses propres enfants après guerre.

Cette froideur cependant m’a décu. Il y avait dans la proximité affective de l’auteur avec son père quelque chose qui interrogeait la possibilité de l’Allemagne à se reconstruire à travers une culture, un imaginaire, un amour du pays et des paysages bien aimés, mais dévoyés par le nazisme. Ce portrait d’une femme rigide, incapable d’aimer, d’affection ou de sensualité, coincée dans son respect des convenances et son protestantisme moralisateur me semblait être une invitation à creuser les contrastes, voire les conflits dont l’Allemagne est faite, tensions toujours larvées, rentrées, mais au coeur de l’identité du pays, et à quoi le fédéralisme a su trouver une voie démocratique et pacifique: nord contre sud, catholicisme contre protestantisme, centralisation prusienne contre périphérie alémanique, etc. Même la confrontation centrale, celle d’un destin masculin et d’une destinée féminine, partageant un même rêve d’émancipation intellectuelle, et le naufrage du couple qui ne résista pas au nazisme et à la guerre tout en offrant à tous l’image convenable d’une famille installée et bourgeoise ne m’ont pas semblé adéquatement creusés. En tout cas pas à la mesure de mes attentes. Je finis donc ma déambulation dans l’œuvre de Christoph Meckel, découvert récemment à Freiburg, par une note en demi-teinte. Mais cela n’enlève rien à l’importance de cette œuvre, majeure sur bien des plans, et très utile à la compréhension en profondeur de la conscience intime de l’Allemagne. Une oeuvre dont je regrette juste qu’elle ne soit pas plus connue en France.

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