Dominique FERNANDEZ: Le piéton de Venise

Dominique FERNANDEZ: Le piéton de Venise

Des tableaux, de la musique, un plaisir de vivre qui, à rebours du lieu commun d’une ville crépusculaire s’enfonçant dans les eaux, s’exprime à chaque coin de rue, dès lors qu’on s’écarte un peu des quelques grands itinéraires touristiques, des palais, des places qui ici ont parfois un air très singulier, des églises, une sensualité qui s’exprime partout, un esprit profondément républicain, une ville ouverte au monde, telle est la Venise que parcourt Dominique Fernandez. On ne présente plus l’écrivain, amoureux et spécialiste de l’Italie. Mettre ses pas dans les siens, c’est suivre une promenade à la fois érudite et espiègle, pétillant de mille pépites. Vous avez dit charmant? Je dirais délicieux, à l’image de cette ville que Dominique Fernandez reconstruit sous nos yeux.

Je crois qu’on aime ou qu’on déteste les livres de Dominique Fernandez. Ses livres de voyage en particulier, traversés toujours des mêmes thèmes, des mêmes obsessions dirait-on: le Baroque, la douceur de vivre italienne, cette véritable ode au bonheur que sait offrir l’Italie, à rebours de tous les fâcheux, en particulier à Venise, le goût pour les douceurs dégustées au hasard d’une halte dans une des pâtisseries renommées de la ville, ou plus simplement trouvées dans les rayons d’un supermarché. Et puis la musique, la peinture, dont Fernandez offre des commentaires suggestifs, souvent subjectifs. Ici Casanova et Goldoni viennent accompagner ses pas avec la truculence de cette franchise vénitienne qui sait nommer les choses par leur nom. Là, Fernandez, feignant de rendant grâce au motif de la nudité féminine, qui domine il est vrai dans la peinture vénitienne (des Vénus, des Diane, des nymphes, des Danaé…), abandonne vite son sujet pour se montrer beaucoup plus intéressé par les Saint Sébastien qu’on trouve partout dans la ville, traquant dans la figure du saint martyr l’expression de la volupté, en homme plus sensible à ce type de sensualité et faisant surgir le motif d’une Venise gay. Là encore, ce sont des places sur lesquelles il prend le temps de s’attarder, de poser son regard. Tout le charme des voyages de Fernandez est là: un mélange d’érudition, de propos à l’emporte pièce, de commentaires lumineux de tableau, d’évocations suggestives des musiciens, des écrivains, d’anecdotes de la vie vénitienne. Personnellement j’adore. Et je dois cette fois encore à Dominique Fernandez quelques belles découvertes, notamment celle du récit de Brodsky dont je parlais il y a quelques jours ici même.

“Pourquoi s’apitoyer sur le délabrement des façades et le pourrissement de la lagune, et oublier que s’il y a une ville qui contient et résume toute la gaieté possible italienne, c’est Venise? Les trois peintres à avoir travaillé le plus gaiement sont trois Vénitiens: la gaieté, elle jaillit de leurs tableaux, en version opulente et fastueuse chez Véronèse, en version humoristique et piquante chez Pietro Longhi, sous une forme aérienne, transparente et ludique dans les fresques pastels de Giambattista Tiepolo. Qui a inventé la musique gaie, sinon Vivaldi, dont les trilles enjoués, les pizzicati pétillants, les prestissimos endiablés, les allegri con fuoco ont rompu avec la rigidité de l’orchestre baroque? Et la littérature? Le seul auteur comique italien n’est-il pas le Vénitien Carlo Goldoni? Sa fécondité prodigieuse (seize pièces pour la seule année 1750, dont certaines de ses meilleures) reflète la vitalité, l’entrain de sa ville natale. Enfin, qui a exprimé avec plus d’allant et de brio le bonheur de vivre que Giacomo Casanova, chevalier et aventurier de Venise? Voilà ce qu’on ferait bien de garder à l’esprit, chaque fois qu’un pieu vermoulu ou une statue rognée essaient de nous arracher un soupir”

(pp.13-14)

Dominique FERNANDEZ, Le Piéton de Venise, photos de Ferrante Ferranti, Philippe Rey, 2019

2 réflexions sur « Dominique FERNANDEZ: Le piéton de Venise »

  1. Je n’ai pas eu l’occasion jusqu’ici de lire Dominique Fernandez ; j’ai assisté à une rencontre avec lui, il m’a paru assez … hautain disons, mais par contre sa culture est époustouflante. Je finirai par le lire un jour.

    1. Oui, c’est ce que je voulais dire. On retrouve un peu cela dans ses livres. Mêlé à une culture immense, cela donne une lecture passionnante, toujours singulière, avec ses partis pris et cet immense amour de l’Italie, même s’il peu agacer parfois au détour de certaines pages. Mais c’est aussi ce que j’aime chez Dominique Fernandez.

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