Christoph MECKEL: H.B.G.

Christoph MECKEL: H.B.G.

Freiburg, 1512-1516. Hans Baldung Grien, jeune et brillant élève de Dürer, arrive dans la capitale de la Forêt-Noire pour y exécuter le maître autel de la Cathédrale Notre-Dame. Quatre années d’un long travail, dans un atelier jouxtant le monument en construction, un chef d’oeuvre de la Renaissance allemande. Ce sont ces mêmes années où, non loin de là, de l’autre côté du Rhin, dans la petite ville d’Issenheim, Grünewald exécute pour le couvent des Antonins son retable de saint Antoine, sans doute l’une des œuvres les plus hallucinées de toute l’histoire de la peinture. Entre les deux hommes, bientôt, une rencontre s’organise. Une rencontre où il sera question bien sûr de peinture, de ce regard particulier que les artistes savent poser sur le monde, et de ce qu’il révèle des étranges pouvoirs de la lumière, de la possibilité des uns et des autres de jouir de leurs inspirations respectives… et d’un certain Christoph Meckel, jeune garçon arrivé à l’été 1947 d’Erfurt dans une Freiburg en ruines, futur poète et graveur, dont le retable de la cathédrale fut la première véritable expérience esthétique.

De retour de Freiburg, dans le sud de l’Allemagne, j’ai ramené ce petit récit de Christoph Meckel, avec lequel je découvre un écrivain. Je dois cette belle découverte à une pérégrination en librairie, je devrais dire dans LA librairie, la fameuse Buchhandlung zum Wetzstein, un des lieux emblématiques de la librairie en Allemagne, présente dans plusieurs beaux livres sur les librairies d’outre-rhin, qui avait fermé quelques temps autour de 2020 et qui vient avec bonheur de rouvrir sous une forme nouvelle, avec une autre présentation, un autre aménagement, des espaces modernisés, quelque chose de plus lumineux, plus design, mais toujours ce choix précieux de beaux livres et de textes choisis qui, depuis des décennies, fait la joie de tous ceux qui auront poussé la porte de la boutique de la Salzstrasse. J’y suis tombé donc sur ce très beau petit livre.

Je ne connaissais pas Christoph Meckel, qui est peu traduit en français. Mais j’ai découvert depuis d’autres livres de lui, dont un époustouflant Portrait robot : Mon père, livre majeur sur la culpabilité des pères dans l’avènement de l’Allemagne nazie et la possibilité dès lors des filiations, des héritages, dont je reparlerai d’ici quelques jours. H.B.G., à rebours de cette ambition, est un petit récit ciselé, dans lequel on retrouve cependant la même clarté d’expression, avec des ouvertures résolument poétiques et une évocation sensible de ce pays de Bade et de l’Alsace toute proche, ces terres alémaniques, comme disait Hermann Hesse, pour qui c’était la seule véritable patrie, paysage culturel et sensible opposé aux reconstructions barbares du nationalisme, un Hermann Hesse avec qui il me semble que la langue de Meckel – et l’univers poétique ne sont pas sans rapport.

Chez Meckel, la peinture est d’abord expression. Et c’est elle qui conditionne la rencontre de Baldung Grien et de Grünewald, dans ce qui est à la fois un dialogue et l’impossibilité d’un dialogue entre les peintres. D’un côté, H.B.G. : l’humour, la couleur, la lumière, une certaine allégresse de ton et d’expression. De l’autre, Grünewald : son univers halluciné. L’un se nourrit des beautés de ce monde, peint dans son retable les hommes, les enfants, les femmes, qu’il a sous les yeux, dans une joie non dissimulée. L’autre saisit le réel au-delà des apparences, jette l’enfer et le paradis sur la toile. D’un côté la peinture baignant le monde et les hommes d’une lumière appartenant à l’être humain, dans laquelle il peut trouver sa place et s’accommoder de sa présence au monde. De l’autre une lumière procédant du fond sombre, surnaturel que la peinture vient révéler.

Le dernier chapitre dans lequel Meckel, passant à une veine autobiographique, raconte son arrivée en 1947 dans une Freiburg ravagée par les bombardements de la guerre, d’où émerge la figure de la cathédrale, n’est pas le moins intéressant du récit. Récit d’une autre rencontre, celle d’un tout jeune adolescent, au sortir de l’enfance, et du retable de Baldung Grien, ouvrant sur de nouvelles inspirations, la possibilité d’une filiation par-delà les ruines et la question de se reconstruire allemand après les crimes du nazisme.

Im Sommer 1947 kam ich, zwölf Jahre alt, aus dem zertrümmerten Erfurt zurück in das zertrümmerte Freiburg. Zwischen Ruinen zu leben erschien mir normal, in Trümmern zu spielen, zu träumen, unsichtbar zu sein. In den Alten Friedhof waren Bomben gefallen, die Südmauer mit den Gräbern war zerstört, die Gärtnerei dahinter ein Teil des Friedhofs. Zerbrochene Grabmäler lagen weit verstreut, Reste barocker Relieftafeln und beschrifteter Platten aus Sandstein, Marmor und Schiefer, Finger, Füsse und halbe Köpfe von Engeln. Die Friedhofskapelle war ausgebrannt, zwischen Mauern schwarz von Nässe und Russ lagen verkohlte Balken. Die Bombentrichter waren tief, voll Gras, dort waren Holunder- und Haselbüsche gewachsen. Unter Zweigen richtete ich mich ein, baute Höhlen aus Laub und Unkraut, flüchtete aus Gymnasium und Elternhaus. Hier konnte ich sein, wie ich war, und mit Bleistift in Zehn-Pfennig-Hefte schreiben, was ich für Vers und Prosa hielt. Immer häufiger war ich dort in der Nacht. Vor Trümmern und Toten hatte ich keine Angst.
Eine andere Freistatt war das Münster, offen an allen Tagen, widerhallend von Orgeln und Glocken, dort vermutete mich kein Mensch, ich war Protestant.

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