Eloge de la main: “on dirait qu’elle pense”

Eloge de la main: “on dirait qu’elle pense”

La lecture parfois permet des associations comme on suivrait des pensées: de fil en aiguille par le simple jeu de “ça me fait penser à”, le plaisir d’avoir découvert une sente, le désir de la suivre. Le beau livre d’Anne-Marie Boch, L’euphorie des cimes, les très belles pages qu’elle consacre à l’expérience d’une forme de toucher esthétique quand on grimpe en montagne (pages dont j’ai publié ici un extrait jeudi dernier) m’a ramené à des choses que je connais mieux: le tâtonnement de la main qui crée par exemple dans le dessin. Sensation délicieuse qui est à la fois celle d’une maîtrise technique et d’une rencontre toujours étonnante, voire bouleversante – quand le dessin “prend” en tout cas- avec la singularité de ce qui advient devant soi. Le dessin aussi connaît ses tâtonnements, ses caresses, cette impudeur particulière du toucher dont ne s’imaginent sans doute pas ceux qui le réduisent à une sorte d’ivresse du regard. Au fond tout cela n’est peut-être pas si éloigné de ce que dit Anne-Marie Boch de la montagne: ouvrir une voie, s’écorcher à la dureté du rocher dont le toucher est aussi une expérience d’une sensualité toute minérale, tenir le monde à main nue, mais dans un geste de suprême élégance, du bout des doigts, qui est aussi à la mesure du risque, du corps qu’on engage, danser sur la corde raide. En déambulant ce matin dans les salles du musée que je fréquente très régulièrement à la recherche d’une voie nouvelle à frayer, dans la confrontation avec les grands maîtres, je me suis senti moi aussi un instant une sorte d’alpiniste de la peinture, le feutre à la main, tâtonnant sur le papier à la recherche de ces prises que ma main inventait. Et puis, ce soir je me suis souvenu de ce petit essai d’Henri Focillon, lu il y a longtemps: Eloge de la main.

…à la recherche d’une voie nouvelle à frayer, dans la confrontation avec les grands maîtres…

La main est action: elle prend, elle crée, et parfois on dirait qu’elle pense. Au repos, ce n’est pas un outil sans âme abandonné sur la table ou pendant le long du corps: l’habitude, l’instinct et la volonté de l’action méditent en elle (…)

Henri FOCILLON, Eloge de la main (1934)

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