Alfred de MUSSET: On ne badine pas avec l’amour

Alfred de MUSSET: On ne badine pas avec l’amour

Après des années d’absence, Perdican et Camille reviennent au château du baron. Depuis des années celui-ci a le projet de les marier ensemble. Camille, une jeune fille de 18 ans à peine sortie du couvent, sa nièce, et Perdican, son fils, qui vient d’obtenir son doctorat, ont partagé leurs jeux, enfants. Mais dix ans ont passé et leurs retrouvailles ne s’annoncent pas forcément sous les bons auspices que souhaiterait le baron. D’autant que la vie au couvent, où Camille a partagé les confidences de nonnes qui ont pris le voile pour fuir des amours malheureuses, et que Rosette, la fraîche et jolie paysanne, sœur de lait de Camille, qui a grandie elle aussi et ne laisse pas insensible Perdican, semblent offrir peu de place à l’aspiration à un amour pur et idéal. Et aux projets du baron…

Je continue avec On ne badine pas avec l’amour le parcours autour du théâtre de Musset entamé cet été avec Lorenzaccio (relu pour la je ne sais plus combien de fois) et La Nuit vénitienne (son grand “four”, dont je reparlerai – billet à suivre). Parcours qui m’a conduit récemment aussi du côté de Goethe (ici) et de Schiller, qui l’ont inspiré. Étonnamment, alors que Lorenzaccio fait partie pour moi des livres à emporter absolument sur l’île déserte, en fait depuis que j’ai découvert la pièce, il y a bien longtemps -mais quel éblouissement déjà! (ce devait être en classe de seconde) -, je ne connaissais pas le reste de l’œuvre dramatique de Musset. Si, pour l’instant, aucune de ses œuvres n’atteint la maîtrise et le génie de Lorenzaccio, je dois dire cependant que j’ai passé de beaux moments en compagnie de Musset, un auteur décidément très original dans la génération des Romantiques.

Après l’échec de La Nuit vénitienne, Musset en effet se détourne de la scène. Il n’en continue pas moins à écrire des pièces, qu’il publie sous le titre éloquent de Théâtre dans un fauteuil. Il est assez amusant que les rares drames romantiques passés à la postérité soient justement ceux de Musset. On ne badine pas avec l’amour est de ce point de vue une œuvre marquante. Libéré sans doute des contraintes de la représentation de l’époque, Musset illustre ici, après les effets de foule et la multiplication des tableaux hérités de Shakespeare et de Goethe repris dans Lorenzaccio, un autre aspect de son talent dramaturgique. Concentré sur un petit nombre de personnages, comme l’était le théâtre de Marivaux, à qui parfois il fait songer, le drame propose comme une partition qui, délaissant la question des conditions du passage à la scène, laisse beaucoup justement au travail de la mise en scène et à l’interprétation, laissant le champ ouvert aux grands succès du 20e siècle (à commencer par la mise en scène de René Clair, pour le TNP, en 1959, avec Suzanne Flon et Gérard Philippe dans les rôles-titres). Bref, le drame de Musset continue à nous toucher. Et ce n’est pas pour rien.

La pièce est elle-même tendue par une énergie dramatique dont j’aimerais bien voir ce qu’on en fait sur scène. Commencée dans des épisodes bouffons, la tension dramatique croit tout au long du drame, jusqu’à culminer dans la tragédie finale, qu’on aurait peu imaginée au début.

Les personnages incarnent ce mélange des tons. A côté du triangle amoureux des jeunes gens -Perdican, Camille, Rosette- qui cherchent et subissent les caprices de l’amour, Musset a produit toute une galerie de personnages grotesques: le baron, rigide dans son respect des convenances comme dans son incapacité à comprendre ce qui se passe sous ses yeux; les deux abbés pique-assiettes, Blazius et Bridaine, buveurs et ronds, profitant jusqu’à l’outrance des faveurs du baron et de l’oreille que celui-ci veut bien leur tendre, puis également congédiés par lui; dame Pluche, dévote coincée et déshumanisée.

Mais ce sont surtout les thèmes abordés par le drame qui, offrant l’occasion de développements lyriques, offrent à la pièce ses plus beaux moments: le sens de la vie, la religion, la nature de l’amour.

Parmi tous ces thèmes, deux en particulier, montrent plus clairement la singularité de Musset dans le mouvement romantique, mêlant habilement le motif de la passion romantique avec des réminiscences d’un 18e siècle galant : celui de la lutte des sexes et de la dénonciation des orgueils opposés, souvenir vraisemblable des amours passionnelles de Sand et de Musset, n’empêche pas de rêver à l’idéal romantique d’un amour partagé, illustré par la confession-accusation de Camille à la scène 5 de l’acte II et par le plaidoyer de Perdican à la toute fin de l’acte. Cependant que le retour de Camille et Perdican dans le château de leur enfance est aussi l’occasion d’évoquer les douceurs nostalgiques d’une enfance révolue, renouvelées cependant dans le charme de scènes galantes au milieu d’une nature fleurie et verdoyante.

“Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et
lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : “J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui”

Perdican – Acte II, scène 5

6 réflexions sur « Alfred de MUSSET: On ne badine pas avec l’amour »

    1. A voir je crois surtout, si tu l’as déjà lu, même il y a longtemps. Après quelques autres lectures de Musset que je chroniquerai bientôt, ce n’est finalement pas la pièce que j’ai préférée. Mais je serais curieux de voir ce que ça donne sur scène.

  1. Le théâtre de Musset, j’ai été fan quand j’étais au lycée. Et j’aime toujours. J ai vu une adaptation de On ne badine pas, mais pas entièrement convaincante et une des Caprices mise en scène de Michel Buzat, intéressante , au festival d’Avignon.

  2. Un souvenir aussi, trop lointain. Je reprends la lecture du théâtre ( les représentations font toujours partie de mon grand plaisir, j’avais délaissé les livres ). Comme je présente aujourd’hui Lorenzaccio, je me suis permise d’ajouter le lien vers ton billet.

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