Fin de villegiature sur la Mer Noire

Fin de villegiature sur la Mer Noire

“Vers la mi-août, la nouvelle lune amena brusquement une affreuse période d’intempéries comme seules en connaissent les côtes septentrionales de la mer Noire. Tantôt, pendant des journées entières, un épais brouillard couvrait la terre et la mer, et l’énorme sirène du phare beuglait, nuit et jour, tel un taureau furieux. Tantôt, d’un matin à l’autre, tombait sans interruption une pluie fine comme de la poussière d’eau, changeant les chemins et les sentiers argileux en un épais bourbier où s’enfonçaient désespérément camions et voitures. Tantôt s’élevait du nord-ouest, du côté de la steppe, un furieux ouragan : et alors les cimes des arbres se balançaient sans cesse, pliant et se redressant comme des vagues sous la tempête, les toits en tôle des villas grondaient pendant la nuit comme si quelqu’un eût couru sur eux en souliers ferrés, les châssis des fenêtres tressaillaient, les portes claquaient et les tuyaux de cheminée hurlaient sauvagement. Quelques barques de pêche se perdirent au large, deux ne revinrent pas : quinze jours plus tard, les corps des pêcheurs furent rejetés à divers endroits du rivage.
[…]
Mais au commencement de septembre, brusquement le temps changea. Les jours se succédèrent calmes et sereins, plus clairs, plus ensoleillés, plus chauds qu’au mois de juillet. Dans les champs desséchés, l’araignée d’automne jeta sur la pointe des chaumes l’éclat vacillant de sa toile. Les arbres apaisés se résignaient à laisser choir leurs feuilles jaunes, silencieusement.
La princesse Véra Nicolaïevna Cheïne, femme du maréchal de noblesse de la province, n’avait pu quitter la plage, par suite de réparations à son hôtel. Et elle goûtait maintenant pleinement la joie des beaux jours tardifs, du silence, de la solitude, de l’air pur et de la brise salée, caresse légère de la mer.”

Alexandre KOUPRINE, Le Bracelet de grenats (1911), traduction d’Henri Mongault, Editions Sillage

2 réflexions sur « Fin de villegiature sur la Mer Noire »

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