Hugo PRATT: Fable de Venise

Hugo PRATT: Fable de Venise

Entraîné là par la recherche d’une émeraude fabuleuse et l’énigme que lui fit parvenir avant de mourir le baron Corvo, un anglais excentrique, Corto Maltese fait escale à Venise. Sur fond de loges maçonniques rivales, de montée du fascisme, de signes cabalistiques et d’énigmes, dans une Venise de songe, souvent nocturne, presque vide, sinon de ces multiples chats qui semblent être les vrais habitants de la cité, une Venise peuplée de rêves et de fantasmes hallucinatoires, Corto poursuit sa course en quête d’une aventure dont tout lecteur avisé sait fort bien qu’elle est plus dans le récit qui la raconte que dans la réalité. Mais c’est tant mieux: nous sommes justement dans une bande dessinée…

Je poursuis avec Fable de Venise l’itinéraire littéraire de ce printemps italien, commencé il y a peu avec l’errance ferroviaire de Joël Schuermans, et qui se poursuit encore. De tous les albums de Corto Maltese, Fables de Venise est sans doute celui que je préfère, avec En Sibérie, pour le dessin évocateur d’un Hugo Pratt au sommet de son art, et La Maison dorée de Samarcande, pour le souffle de fantaisie qui parcourt les deux albums. Espiègle en diable, jouant du double niveau de l’histoire et d’un récit mis en cases de BD avec lesquelles Hugo Pratt s’amuse ici volontiers, Fables de Venise est du type des romans d’aventure que je préfère, ceux qui ne sont pas dupes que l’aventure est moins dans la réalité que dans le regard que le personnage, et à travers lui le lecteur, porte sur elle, dans un horizon d’attente de quelque chose dont le récit serait la révélation, qui se révèle parfois bien décevant une fois la quête achevée, mais ce n’est pas l’important. L’important, c’est ce surcroît d’imaginaire, cet enchantement que le temps du récit l’aventure aura su donner au réel. Le chef d’oeuvre en est sans nul doute Le Chant de l’Équipage de Pierre Mac Orlan. Fable de Venise, avec ses airs de roman graphique, appartient à cette lignée et c’est pour cela qu’outre Venise que l’album évoque avec tant de charme j’aime y revenir de temps en temps.

Mais il y a plus, c’est-à-dire ici justement le dessin, un dessin à la fois espiègle, suggestif, magnifique dont il faut selon moi profiter en noir et blanc, qui joue des effets de miroir d’une ville se mirant dans l’eau noire des canaux sombres, où passent dans un joyeux débrayé les personnages de fiction (Corto, Raspoutine, etc) et les personnages historiques (le baron Corvo, d’Annunzio). L’Histoire des lendemains de la première guerre mondiale se reflète déformée dans les songes et la fantaisie d’un récit plus facétieux que jamais, à l’image du mirage de cette ville, surgie des eaux, et des mille rapiècements dont Venise a su nourrir la beauté d’un tissus urbain unique.

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