Friedrich DÜRRENMATT: La Panne

Friedrich DÜRRENMATT: La Panne

La vie est faite de contre-temps. Il n’y a plus de place aujourd’hui ni pour le Destin, ni pour un sens immanent de la Justice. Alors comment écrire encore des histoires? Quelle place pour les romans dans un cours du monde qui ne connait plus que les contre-temps, que les pannes? C’est un de ces contre-temps justement qui va frapper Alfredo Traps, représentant exclusif d’une grande marque de tissus. Contraint par une panne de voiture à s’arrêter pour la nuit dans un village suisse, l’agent général de commerce ne trouve d’abord pas de place à l’auberge du village. Nouveau contre-temps. Mais qu’importe, quand on est plein de ressources et habile à jouir de la vie, des rencontres. On lui indique l’adresse d’un vieux monsieur qui héberge occasionnellement des visiteurs. Accueilli avec plaisir par le vieil homme, Alfredo est convié à dîner avec trois de ses amis, des retraités qui, à l’occasion de soirées pantagrueliques, s’amusent à rejouer des procès historiques. On propose à Alfredo de jouer ce soir-là le rôle de l’accusé…

Au sortir de La Montagne magique, qui aura été la grande aventure de lecture de ce mois de mai, et dont je reparlerai d’ici quelques jours, j’ai dévoré ce petit chef-d’œuvre de Dürrenmatt – mon premier roman de l’auteur. Un délice d’esprit, d’humour noir. Pour sûr, ce livre est une réussite… Convié à participer avec quelques vieux messieurs à un dîner dans lequel il ne voit d’abord qu’un jeu, dont il compte bien profiter, tout comme des bons mets qui lui sont servis, Alfredo est conduit peu à peu, sous le regard amusé de ses hôtes, et leurs rires de triomphe, à livrer plus qu’il ne pense de lui-même. A mesure que l’on entre plus avant dans cette soirée, le lecteur à son tour passe par des émotions changeantes. Au fil du récit, le climat devient de plus en plus inquiétant. Cependant que les grands crus et les plats se succèdent, dans une abondance absolument déraisonnable, Alfredo s’enfonce toujours plus dans un jeu dont il se montre candidement aveugle. La personnalité des convives – un procureur, un juge, un avocat et… un bourreau, tous à la retraite – ne laisse pas d’interroger. Et si le jeu n’en était pas un?

Je n’en dévoilerai pas plus, au risque de gâcher le plaisir de lecture de ce délicieux petit livre, mais disons que le récit de Dürrenmatt, comme l’accumulation des plats qui se succèdent au cours du dîner auquel Alfredo se trouve convié par le Destin, offre une belle parodie des discours judiciaires, teintée d’inquiétude, un portrait plein d’humour d’un naïf qui se révélera moins innocent qu’il ne le croyait lui-même, une désopilante scène de banquet qui pour les vieillards qui y participent peut se révéler tout autant une forme de suicide, ainsi qu’un ironique démenti au propos de l’auteur lui-même qui dans la première partie du livre interrogeait la possibilité d’écrire encore des fictions dans un monde vidé de tout sens de la transcendance, renouvelant notre plaisir de lire. Ce livre est un petit bijou décidément!

4 réflexions sur « Friedrich DÜRRENMATT: La Panne »

    1. L’eau à la bouche, c’est le mot, vu le banquet auquel se livrent les personnages dans cet étonnant petit livre. J’espère que tu prendras autant de plaisir que j’y ai pris si tu tentes à ton tour l’expérience.

  1. Oh oui, je l’ai tellement aimé moi aussi !! J’ai d’ailleurs adoré tout ce que j’ai lu de cet auteur même s’il n’est pas évident de mettre la main sur ses bouquins.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.