Le modèle
Dans une nouvelle de Bernard Malamud intitulée Le Modèle, un retraité qui avait peint dans sa jeunesse demande à une agence de lui envoyer un modèle. La séance se passe mal; l’homme est de plus en plus troublé; la femme finit par se lever et lui lance: “J’ai sincèrement l’impression que vous ne m’avez pas peinte du tout. Du reste il me semble que ce n’est pas la peinture qui vous intéresse. Ce qui vous intéresse, c’est de laisser vos yeux errer sur mon corps nu, pour des raisons bien à vous. Je ne sais pas quels sont vos besoins personnels, mais je suis sûre et certaine qu’ils ont peu à voir avec la peinture.” Le vieil homme, horriblement gêné, se confond en excuses, mais la femme ne s’en tient pas là. “Je suis peintre, dit-elle, et je pose parce que je suis fauchée mais je sais reconnaître un imposteur.” Pour laver l’affront, elle exige que le vieillard se déshabille et, tandis qu’il se tient là devant elle, nu, pitoyable, couvert de honte, elle le croque avec talent et mépris.
Dans le film Mina Tannenbaum, on voit deux jolies femmes élèves aux Beaux-Arts croquer un modèle mâle. Cela existe aussi, c’est incontestable… Mais aucune dose de parité, aucun discours sur l’égalité et la dignité ne rendra symétriques les comportements désirants, érotiques, visuels, séducteurs, artistiques des hommes et des femmes. Car le mot sexe dit bien ce qu’il veut dire, à savoir scission. On ne mettra jamaisde l’ordre là-dedans, et c’est tant mieux…
Nancy Huston, Poser nue (2017)