Tons neutres

Tons neutres

Ce jour d’hiver, nous longions un étang,
Le soleil était blanc, comme maudit de Dieu.
Quelques feuilles gisaient sur la terre stérile,
Tombées d’un frêne et grises.

Vous aviez pour moi le regard qui se perd
Dans la banalité des secrets éventés,
Nous échangions quelques paroles
Qui appauvrissaient d’autant notre amour.

Le sourire, O combien funèbre de vos lèvres,
Ne durait que pour avoir la force de mourir;
Ainsi le traversait un sillon d’amertume
Comme vole un oiseau de mauvais augure.

Des lors, cette dure leçon que l’amour est trompeur,
Que sa fourberie nous dessèche, m’a restitué votre visage,
Et le soleil maudit de Dieu, et l’arbre,
Et un étang ourlé de feuilles grises.

We stood by a pond that winter day,
And the sun was white, as though chidden of God,
And a few leaves lay on the starving sod;
– They had fallen from an ash, and were gray.

Your eyes on me were as eyes that rove
Over tedious riddles of years ago;
And some words played between us to and fro
On which lost the more by our love.

The smile on your mouth was the deadest thing
Alive enough to have strength to die;
And a grin of bitterness swept thereby
Like an ominous bird a-wing…

Since then, keen lessons that love deceives,
And wrings with wrong, have shaped to me
Your face, and the God-curst sun, and a tree,
And a pong edged with grayish leaves
.

Thomas HARDY, Poèmes du Wessex, traduction de Frédéric Jacques Temple, Gallimard, 2012

10 réflexions sur « Tons neutres »

    1. On réduit très souvent Thomas Hardy à ses romans, oubliant qu’il est aussi un grand poète élégiaque. Je suis en train de découvrir son oeuvre poétique avec un immense plaisir.

    1. Il y a quelque chose de très poétique, je trouve, dans la langue de ses romans. D’où l’idée d’aller voir directement à la source de son travail poétique.

  1. C’est le premier poème de Thomas Hardy que je lis, merci de le citer en traduction et dans l’original. J’aime particulièrement cette strophe au rythme intraduisible (des mots de une ou deux syllabes) :
    “Your eyes on me were as eyes that rove
    Over tedious riddles of years ago;
    And some words played between us to and fro
    On which lost the more by our love.”

    1. Pour cela, l’édition française, qui propose tous les textes en version bilingue, est bien faite. Et, quel que soit l’effort de récréation poétique du traducteur, que je trouve très efficace ici, c’est un bonheur vraiment de pouvoir se plonger dans l’anglais de Thomas Hardy.

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