En face de sa chaise, il y avait un miroir

« Il était assis, donc. En face de sa chaise, il y avait un miroir et il ne put s’empêcher de considérer son visage. Ce fut comme s’il se voyait pour la première fois. Il fut terrifié, en tout cas. Il comprit pourquoi, ces dernières années, il avait eu si peur des miroirs. Car ce n’était pas une bonne chose de voir de ses propres yeux sa déchéance. Tant qu’on n’était pas forcé de voir son visage, c’était presque comme si on n’en avait pas, ou comme si on avait encore Lire la suite

Nancy HUSTON: Poser nue

Jeune femme, au sortir presque de l’adolescence, Nancy Huston a été modèle pour des artistes. Une expérience partagée entre le modèle et l’artiste. Entre la tension de la co-création et la soumission au regard, à des poses imposées tenues parfois pendant de longues minutes, dans l’ambiguïté singulière de se savoir regardée, scrutée, peut-être désirée même. Temps singulier que celui de la pose qui renvoie à l’être-corps, à l’être-femme et à la possibilité de l’émancipation du regard par et peut-être contre l’art aussi dans une certaine mesure. De ces tensions est Lire la suite

Le modèle

Dans une nouvelle de Bernard Malamud intitulée Le Modèle, un retraité qui avait peint dans sa jeunesse demande à une agence de lui envoyer un modèle. La séance se passe mal; l’homme est de plus en plus troublé; la femme finit par se lever et lui lance: « J’ai sincèrement l’impression que vous ne m’avez pas peinte du tout. Du reste il me semble que ce n’est pas la peinture qui vous intéresse. Ce qui vous intéresse, c’est de laisser vos yeux errer sur mon corps nu, pour des raisons bien Lire la suite

Par Cléanthe, il y a

Le prix de la sueur des hommes

La vie de ce blog a ceci de singulier qu’alors que je promettais il y a déjà plusieurs mois un retour régulier par ici, voilà que quelques grandes lectures estivales m’ont conduit de nouveau à négliger ce petit carnet. Pourtant ces écritures régulières me manquent. Dans l’éloignement je sens de plus en plus comment, en m’obligeant à preciser mes impressions, les notes collectionnées contribuent à la trace laissée en moi par mes lectures. Le désir d’enchaîner rapidement plusieurs livres, quelques lectures pressées aussi, et puis deux bons gros romans fleuves Lire la suite

Par Cléanthe, il y a

Lire, moment intime (et autres histoires de blog)

Au départ, c’était pendant le premier confinement. Je me suis dit que j’allais prendre quelques semaines, pour lire, tout simplement, dégagé de la pression des billets réguliers. Ce n’était pas la première fois. L’envie de retrouver quelque chose comme le plaisir de se perdre dans la lecture sans avoir à penser à quelles pages retenir, à quels mots souligner. Une lecture sans le texte à rédiger, à publier – conversation délicieuse avec les livres lus, mais dont il faut savoir s’extraire aussi parfois pour mieux en sentir le charme. Non, Lire la suite

Voir du pays

C’était l’époque où je vivais le cul sur une selle: j’allais au boulot à vélo, cinquante bornes par jour aller et retour, soit plus de deux cents par semaine, j’étais un vrai alcoolo de la petite reine, passant toute la journée à bout de nerfs, les muscles ankylosés, la cervelle ébranlée par les pavés, j’ai longtemps tourné en rond dans Paris et ses parcs, à toute allure, comme une âme en peine ou plutôt comme une particule dans un cyclotron, et c’est grâce à Vlad que j’ai commencé à sortir Lire la suite

Lydie Jean-Dit-Pannel. Alive.

Retour au musée de Dole, dont j’ai déjà parlé quelques fois ici. J’aime beaucoup Dole, petite sœur jurassienne de Dijon et de Besançon, qui vaut assurément le coup d’œil. Si vous n’y êtes jamais allé, profitez d’un passage éventuel en Bourgogne-Franche-Comté pour vous y arrêter. La ville, située à mi-chemin de Dijon et de Besançon (un beau camp de base peut-être pour visiter les deux belles rivales « bourguignonnes »), a tout en tout cas pour séduire: un beau patrimoine architectural étagé au dessus du Doubs qui passe en contrebas, une tout Lire la suite

Belinda CANNONE: La forme du monde

Romancière, Belinda Cannone pratique aussi la marche, en montagne, une montagne d’été. Et quand elle ne marche pas, elle danse, le tango, cette danse dont on a dit suggestivement qu’elle était une idéalisation de la marche. Prélude à de poétiques réflexions sur notre façon d’être au réel et d’habiter le monde, cette longue pratique de la marche, entre les pas de laquelle on reconnait aussi l’expérience de mille émerveillements comme les chausse-trappes de l’existence avec ses ruptures et ses recommencements, a fini par nourrir cet essai sensible, aux subtils accents Lire la suite