Jules VERNE: L’École des Robinsons
Godfrey Morgan est jeune, riche… et sur le point de se marier. Mais avant de dire oui à la douce Phina, il veut voir le monde. Il demande à son oncle, le très pragmatique Willima W. Kolderup, l’autorisation d’entreprendre un tour du monde. Un dernier souffle d’aventure avant la vie rangée. L’oncle cède, non sans exiger un compagnon: ce sera Tartelett, maître de danse empesé et grotesque. Godfrey embarque donc à bord du Dream, luxueux brick-goélette, accompagné de son étrange Mentor – sans se douter un instant que ce voyage va basculer dans l’imprévu. Naufrage, île déserte, seuls, loin de tout… Il va falloir apprendre à vivre autrement, se nourrir, se défendre, penser – et cesser d’être un enfant. Mais l’île n’est pas tout à fait ce qu’elle paraît. Et le plus gros retournement reste à venir…
L’École des Robinsons n’est pas le roman le plus connu de Jules Verne. Certes, il n’a pas l’élan épique de Michel Strogoff, ni l’ingéniosité aventureuse du Tour du monde en quatre-vingts jours, encore moins l’inventivité exploratoire du Voyage au centre de la Terre. Et pourtant, il possède une fraîcheur singulière, une ironie subtile, et une structure narrative assez audacieuse. Un roman mineur? C’est en tout cas un Verne qui se joue de ses propres codes, qui renverse les figures, qui installe le lecteur dans un faux confort avant de le désarçonner. Godfrey voulait une aventure de roman : du pittoresque, quelques frissons, et le retour triomphal. L’île qui lui est offerte à la suite de son naufrage comme un merveilleux terrain d’aventure n’est pas qu’un décor exotique, c’est une épreuve. Elle confronte Godfrey à lui-même, à sa fragilité, à son besoin soudain d’agir sans filet. Tandis que Tartelett, loin d’être un mentor, devient un fardeau comique, un miroir grotesque de ce que serait Godfrey sans évolution.
Dès les premières pages, Verne semble jouer la connivence avec son lecteur. Les lieux communs de la robinsonnade sont là: le naufrage spectaculaire, l’île déserte, l’exploration des ressources du milieu naturel, l’apparition de sauvages cannibales… On croit lire une variation sur Robinson Crusoé, teintée d’humour. Mais ce jeu apparemment complice n’est pas gratuit. Il devient le cœur même de l’intrigue : et si tout n’était qu’apparence ? Et si cette succession de clichés n’était qu’un piège, tendu autant à Godfrey qu’au lecteur ? Ce retournement, magistral, transforme un récit de survie attendu en un conte sur la manipulation et l’éducation — où l’on comprend, un peu tard, que nous étions aussi, nous lecteurs, les élèves de cette “école des Robinsons”. Dans L’École des Robinsons, Jules Verne ne se contente pas ainsi d’un simple récit de survie. Il glisse dans son roman un tournant inattendu — que je ne révélerai pas — qui brouille les pistes. Et si l’île n’était pas ce qu’elle semble ? Et si ce voyage était, lui aussi, une mise en scène ? Le roman change alors de registre : de la robinsonnade classique, il bascule vers une critique ironique de l’éducation, des illusions bourgeoises, et du besoin de tout contrôler — même l’aventure.
Et c’est, en creux, une réflexion sur ce que veut dire grandir. Non pas devenir fort, ou savant, ou riche — mais affronter ce qui déroute, ce qui échappe, ce qui ne s’apprend pas dans les livres. Godfrey voulait se forger. Verne le forge, à sa manière — c’est-à-dire avec une part de ruse, une touche d’ironie… et un bon vieux coup de théâtre.
« – Un canot !
– Un canot ?
– Oui !… des sauvages !… toute une flottille de sauvages !… Des cannibales, peut-être !… »
Godfrey avait regardé dans la direction indiquée…
Ce n’était point une flottille, ainsi que le disait l’éperdu Tartelett, mais il ne se trompait que sur
la quantité.
En effet, une petite embarcation, qui glissait sur la mer, très calme en ce moment, se dirigeait
à un demi-mille de la côte, de manière à doubler Flag-Point.
« Et pourquoi seraient-ce des cannibales ? dit Godfrey en se retournant vers le professeur.
– Parce que, dans les îles à Robinsons, répondit Tartelett, ce sont toujours des cannibales qui arrivent tôt ou tard ! »Jules VERNE, L’Ecole des Robinsons

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