Pierre BOULLE: La Planète des singes
Un couple de riches oisifs voyageant dans l’espace découvre, flottant dans le vide, une étrange bouteille contenant un manuscrit. Il s’agit du récit d’Ulysse Mérou, journaliste terrien embarqué dans une expédition interstellaire vers l’étoile Bételgeuse. Après avoir atterri sur une planète jumelle de la Terre, il découvre avec ses deux compagnons un monde luxuriant, habitable. Mais très vite, un choc les attend: ici, ce ne sont pas les humains qui dominent; ce sont les singes. Les hommes, eux, sont nus, muets, chassés, enfermés. Ulysse est capturé, étudié comme un cobaye, puis adopté comme une curiosité. Dans ce monde inversé, il va tenter de faire reconnaître sa parole, son intelligence… et sa dignité. Jusqu’au retournement final, vertigineux.
C’est presque par hasard que j’ai ouvert ce livre. J’avais prévu un gros pavé pour ma lecture SF de juin, mais la fin du mois approchant, il me fallait quelque chose de court. Le texte était bref — parfait. Je n’avais jamais lu La Planète des singes, mais je connaissais les films.
Et là, quelle surprise ! Le roman de Pierre Boulle ne ressemble ni à la fresque apocalyptique des années 1970, ni aux blockbusters récents aux effets spéciaux rugissants. Pas de déluge d’action, pas de révolution armée. Mais quelque chose de mieux, finalement : plus littéraire, plus dérangeant. Boulle construit une fable inversée, ironique et subtile, où l’humain devient objet d’étude, tandis que les singes débattent de son statut en colloques scientifiques. L’humour est discret mais mordant, et l’étrangeté naît de ce monde à la fois proche et renversé. Oui, c’est un petit bijou : un roman qui ne cherche jamais l’esbroufe, mais qui frappe juste — intelligent, grinçant, critique.
Pierre Boulle y interroge notre prétendue supériorité, nos certitudes scientifiques, notre propension à dominer — et à justifier cette domination par le savoir. À travers les dialogues entre Ulysse et la chimpanzé savante Zira, ce sont des questions de langage, de hiérarchie, de civilisation qui sont posées. Et si l’homme n’était qu’un accident biologique ? Une anomalie passagère ? Une espèce vouée à l’oubli, comme les autres ?
Loin des fins hollywoodiennes, le roman se clôt sur une double chute vertigineuse — l’une dans le récit, l’autre dans le cadre du manuscrit retrouvé — qui ajoute une dernière couche d’ironie au tout. Boulle, en humaniste sceptique, ne cherche pas à rassurer. Il tend un miroir, déformant mais lucide, à une humanité trop sûre d’elle-même. Une vraie fable voltairienne!
« Le cerveau de l’homme comme toute son anatomie, est celui qui se rapproche le plus du nôtre. C’est une chance que la nature ait mis à notre disposition un animal sur lequel nous pouvons étudier notre propre corps. L’homme nous sert à bien d’autres recherches, que tu connaîtras peu peu…En ce moment même, nous exécutons une série extrêmement importantes.
– Et qui nécessite un matériel humain considérable.
– Considérable. Cela explique ces battues que nous faisons faire dans la jungle pour nous réapprovisionner. Ce sont malheureusement des gorilles qui les organisent et nous ne pouvons les empêcher de se livrer à leur divertissement favori, qui est le tir au fusil. Un grand nombre de sujets sont ainsi perdus pour la science. »
Pierre Boulle, La Planète des singes (1963)
Lu dans le cadre du challenge Objectif SF 2025

3 commentaires
Sandrine · 26 juin 2025 à 13 h 30 min
Tu donnes vraiment envie de (re)lire ce roman. Pour moi, l’adaptation de 1968 avec Charlton Heston est la meilleure fin de toute l’histoire du cinéma !
je lis je blogue · 27 juin 2025 à 6 h 35 min
Comme toi, je connaissais la série des années 70 et l’adaptation au cinéma. Le fait que le roman se distingue éveille ma curiosité.
keisha · 27 juin 2025 à 7 h 04 min
Ah je le relirais bien (oui, je n’ai pas oublié cette fin absolument exceptionnelle – qui n’est pas celle du film, dont l’affiche demeure un spoiler d’ailleurs). J’ai toujours mon vieil exemplaire sur les étagères.