Arturo PEREZ-REVERTE: La Reine du Sud

Arturo PEREZ-REVERTE: La Reine du Sud

A Culiacán, ville mexicaine de l’Etat du Sinaloa livré à la violence et aux cartels de la drogue, Tereza Mendoza une jeune fille pauvre de 19 ans partage sa vie avec Guero Dávila, un pilote intrépide et casse-cou qui convoie de la drogue pour les mafias locales. Lorsqu’il est assassiné, Teresa s’enfuit, mais est retrouvée par les tueurs à la solde des gros trafiquants, qui la violent et manquent de la tuer à son tour. Exfiltrée, Teresa, se retrouve à Melilla, au Maroc, où elle trouve à travailler dans un bar, tentant de se faire oublier et d’oublier à son tour le drame qu’elle a traversé…

J’ai beaucoup lu Perez-Reverte il y a une vingtaine d’année, du temps où je lisais pas mal de romanciers espagnols – enfin, quand je dis vingt ans, ce serait peut-être même plutôt trente! J’avais découvert l’écrivain avec Le Tableau du Maître flamand. Je l’ai suivi avec le Club Dumas, les épisodes des aventures du capitaine Alatriste, d’autres encore. Je ne sais plus exactement quand j’ai arrêté de le lire. Je gardais en tout cas sur mes étagères cette Reine du sud. Et les retrouvailles ont été à la hauteur du souvenir que je gardais de la lecture de cet auteur malicieux, habile à croiser l’aventure, le reportage et une forme de jeu littéraire.

Au centre de cette histoire, Teresa Mendoza, mieux connue sous le surnom de la Reine du Sud, une entrepreneuse qui parcourt les mers à bord d’un luxueux yacht, tout en dirigeant un immense trafic de cocaïne en Méditerranée. Une jeune fille pauvre devenue une femme d’affaire criminelle et corrompue, figure majeure du trafic de drogue, autoritaire et sans scrupule, voilà le parcours que le roman nous donne à visionner. Le protagoniste principal en est un journaliste qui a conduit une enquête, non dépourvue de dangers, afin de reconstituer le portrait de cette femme puissante et ambiguë, en s’appuyant sur les témoignages de ceux qui l’ont connue, ouvrant sur des flash-back successifs. Et donc l’histoire de Téresa est aussi ici celle du reportage que tente de mener à bout un journaliste pour écrire l’histoire de Téresa. La narration à plusieurs voix, les points de vue multiples découvrent progressivement le parcours d’un personnage complexe, une criminelle autoritaire, mais aussi une femme solitaire, cachant au fond d’elle un secret, une fêlure, ce rêve de bonheur et d’aventure partagé avec un margoulin imprudent mais tellement séduisant, du temps où elle n’était qu’une jeune fille des quartiers pauvres et violents d’une ville du Mexique soumise aux gangs et aux mafias. Une histoire qui ne l’a peut-être jamais abandonnée. Mais je n’irai pas plus loin dans cette voie au risque de divulgâcher l’intrigue.

Au Maroc, avec Santiago Lopez Fisterra, un Espagnol qui passe de la drogue de Melilla à Gibraltar, Teresa tente de retrouver un peu du bonheur et des rêves emportés. Elle l’accompagne, apprend à conduire le hors-bord transportant les cargaisons de haschich. Une nuit, alors qu’ils sont pris en chasse par les douanes, leur bateau s’écrase contre un rocher. Santiago est tué et Teresa condamnée à plusieurs mois de prison. Là, elle se lie avec Patricia O’Farrell, une jeune femme de la haute bourgeoisie en rébellion contre sa famille, condamnée pour trafic de cocaïne. Grâce à Pati, Teresa découvre la lecture. A leur sortie de prison, les deux jeunes femmes partent en mer récupérer dans une grotte 5OO kilos de cocaïne dont Pati n’avait révélé la cachette à personne. Eddie, un avocat véreux, les aide à entrer dans les affaires, avec l’appui des magias russes qui cherchent à prendre position sur le marché. En 10 ans, la petite Mexicaine va monter la plus vaste entreprise de narcotrafic d’Europe et devenir la Reine du Sud.

C’est l’autre axe du roman, non moins passionnant que le premier, nourri d’une information très précise, presque journalistique justement, sur l’organisation des trafics, les sociétés écrans, les mécanismes financiers du blanchiment de l’argent de la drogue, les relations entre les différentes mafias. Du Mexique à l’Espagne, en passant par le Maroc, aux côtés des cartels latino-américains et des trafiquants italiens, peu à peu concurrencés par l’essor des mafias russes, Perez-Reverte nous transporte par la voix de son narrateur journaliste et orchestre un récit haletant entre documentaire et fiction romanesque.

Un roman de Perez-Reverte ne va pas cependant sans certaines manipulations et un jeu de références qui est l’autre charme de ses fictions. En prison, Pati a fait découvrir à la jeune Mexicaine presque analphabète un monde inconnu et notamment un livre… Le Comte de Monte-Cristo. A peine libérées, les deux femmes partent récupérer le stock de cocaïne que Pati a conservée caché, et celle-ci met Teresa en possession… d’un “trésor”. Je n’en dis pas plus: des trahisons suivies d’un emprisonnement, un être providentiel rencontré en prison rimant avec un tournant de vie, un trésor, et hantant le personnage principal un sombre désir de vengeance qui se montrera bien incapable de ressusciter l’innocence perdue – voilà que dans la trame même de La Reine du Sud, un autre roman se reflète, Le Comte de Monte-Cristo, au point de nourrir la narration de clins d’œil malicieux et de points de vue parfois vertigineux. L’omnipotence, un destin porté par la nostalgie et une forme de solitude, surtout le goût des livres – autant de motifs venus de Dumas, qui finissent par nous rendre romanesque le personnage de Teresa et ceux qu’elle côtoie, sans jamais rien nier cependant de sa violence et de la réalité de son “commerce”, une sympathie habilement compensée par le contrepoint offert par le point de vue du journaliste qui porte le récit et ajoute, avec sa pincée de narration à la Citizen Kane, au caractère jubilatoire du roman.

4 réflexions sur « Arturo PEREZ-REVERTE: La Reine du Sud »

  1. J’i aussi pas mal lu Perez Reverte il y a une vingtaine d’années… ou peut-être plutôt trente, tu as raison… il était plus à la mode. C’est un peu comme David Lodge qui m’est revenu à l’esprit aujourd’hui.

    1. Oui, ces deux auteurs étaient très à la mode à l’époque. Mais franchement, ce n’était pas une réputation surfaite. Le récit fonctionne vraiment très bien et j’ai pris plaisir à me replonger justement dans cet univers romanesque. Pour David Lodge, il doit m’en rester un ou deux que je n’avais pas lus à l’époque. Je garde ta suggestion en mémoire.

  2. J’ai comme toi découvert cet auteur avec Le tableau du maître flamand (mais ça doit bien remonter à 25 ans !) mais je ne l’ai jamais relu, alors que j’avais beaucoup aimé ce titre… ceci dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire..

    1. C’est un auteur qui gagne à être redécouvert, surtout qu’il publie toujours, et que ses derniers romans ont l’air très bien eux aussi.

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