Aki SHIMAZAKI: Hamaguri (Le Poids des Secrets, 2)

Aki SHIMAZAKI: Hamaguri (Le Poids des Secrets, 2)

A Tokyo, avant-guerre, Yukio est un enfant illégitime qui ne connait pas son père. Sa mère rencontre régulièrement un homme, père d’une fillette du même âge, avec qui l’enfant joue régulièrement au parc. Les deux enfants partagent leurs jeux et finissent par s’échanger des promesses de mariage. Après le mariage de sa mère, Yukio est adopté par Tenji Takahashi, héritier d’une riche famille traditionnelle, qui a rompu avec sa famille pour pouvoir épouser la mère de Yukio. Des années plus tard, pendant la Seconde Guerre Mondiale, une famille vient s’installer à côté de chez eux, à Nagasaki. Désormais adolescent, Yukio tombe amoureux de sa jeune voisine…

J’ai retrouvé dans ce deuxième volume l’art et la manière qui m’avaient déjà séduits dans Tsubaki. Par petites touches, avec des mots tres simples, Aki Shimazaki installe un climat, parcouru de vibrations intérieures. C’est beau comme un film de Ryusuke Hamaguchi, tout en passions contenues. En lisant Hamaguri, j’ai souvent pensé en effet à des films comme Asako, comme Senses. En même temps que m’a frappé ce jeu de résonnances que l’écriture fait naître, cet étrange besoin de nommer des références. Mais il y a là, je crois, un univers poétique, qu’on a envie de délimiter en effet, ou du moins de nommer.

Ce deuxième volume permet d’aborder la démarche narrative caractéristique de cette pentalogie. Après le récit de Yukiko et sa révélation sur le destin de sa famille, caché au cœur de l’explosion atomique de Nagasaki, c’est désormais le point de vue de Yukio que nous découvrons, l’amoureux gemellaire, et pour ainsi dire le pendant de cette première histoire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Hamaguri, la palourde, est un coquillage avec lequel on se livre à un jeu amusant au Japon : celui de retrouver les paires de coquilles s’ajustant l’une à l’autre. Et ces coquillages dans lesquels on peut graver des noms et glisser des déclarations sont un mémorial délicat pour les amoureux qui veulent sceller leurs sentiments.

Parcouru par un autre regard, celui de l’enfant illégitime, adopté par un homme qui a su lui donner un père que le manque de courage de son père naturel lui avait refusé (un autre double, celui des deux pères, issus de deux familles tradionnelles, se regardant, comme dans un miroir, dans des visions inversées d’eux-même), ce deuxième tome ouvre aussi d’autres horizons, telles ces pages sereines du bonheur à Nagasaki. Pages d’autant plus poignantes que pèse sur ce bonheur la menace de la Bombe – mais là encore toujours en sourdine, dans cette sorte de retrait de l’émotion sous la surface du récit, sotto voce, caractéristique de l’écriture de la romancière. La Bombe qui viendra tout effacer.

L’autre intérêt de ces romans, le croisement des histoires privées et de la grande Histoire, en résonnance les unes avec l’autre, se poursuit dans ce deuxième volume. Et j’ai continué à y apprendre plein de choses : rappel des événements de Mandchourie, de l’entrée tardive de l’Urss dans la guerre contre le Japon, de la condition des prisonniers de guerre japonais dans les camps de travail forcé sibériens, de l’esprit de propagande qui régnait alors au Japon au nom de la mobilisation générale ; ou encore ce fait que j’ignorais : l’interdiction de certains livres, par le pouvoir japonais, surtout ceux d’origine étrangère, pendant la guerre.

J’avais prévu de profiter de ce deuxième billet pour parler aussi du choix de la langue française, dans ses romans, par Aki Shimazaki, et de la pertinence de ce choix pour son propos, pour l’univers qu’elle fait naître et cet effort de ressaisie d’une réalité japonaise, à l’écart de sa langue, ou plutôt dans un dialogue poétique et critique que permet justement le choix d’une autre langue, et en particulier le français. Mais cela m’entrainerait un peu trop loin ici et j’attendrai le prochain billet afin de ne pas faire trop durer celui-ci. A suivre donc, selon la formule rituelle…

Aujourd’hui, ELLE apporte des coquillages qui s’appellent hamaguri. ELLE les met par terre en deux rangs. Ils sont vraiment grands, mais toutes les dents de la charnière sont séparées. Je prends l’une des coquilles dans ma main. Nous les comptons en ordre. Un, deux, trois, quatre… Je sais compter seulement jusqu’à dix. Après dix, je me tais. ELLE continue. Et en touchant à la dernière, ELLE crie:

_ Vingt! Il y en a vingt en tout. On va jouer au kaïawase.

Je répète le mot que j’ai entendu pour la première fois:

_ Kaïawase?

_ Oui. Les règles du jeu sont très simples: trouver les deux coquilles qui formaient la paire originale.

Je dis:

_ Mais les grandeurs et les motifs sont tous pareils.

_Non. Regarde bien, dit-ELLE.”

2 réflexions sur « Aki SHIMAZAKI: Hamaguri (Le Poids des Secrets, 2) »

    1. C’est un aspect très intéressant de son écriture, cette vision intime d’un Japon regardé à travers le filtre d’une autre langue.

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