Ödön von HORVÀTH: Jeunesse sans Dieu

Ödön von HORVÀTH: Jeunesse sans Dieu

Horvàth (Ödön von), Jeunesse sans DieuAllemagne, Années 30. Pour avoir répondu à un élève qui professait des idées racistes que “les nègres sont des êtres humains, comme nous”, le narrateur, un professeur qui enseigne dans une école secondaire, est devenu suspect à sa hiérarchie et à ses élèves. Peu de temps après, accompagnant sa classe lors d’un camp d’entraînement militaire, pendant les vacances de Pâques, le professeur surprend les relations d’un de ses élèves, Z, avec une jeune fille, chef d’une bande de voleurs, et par curiosité ouvre par effraction le coffre dans lequel le jeune homme dépose ses affaires personnelles. Z, tient un journal, dans lequel il menace de mort quiconque essaierait de lire son journal. Bientôt, une violente querelle éclate entre Z et N, un de ses camarades, à propos du coffre dont Z vient de remarquer l’effraction. N est retrouvé mort. Tout semble accuser Z. Une enquête pour homicide commence, sans que le professeur, honteux, ne se soit encore résolu à révéler sa curiosité…

Publié en 1938, à Amsterdam, alors que l’auteur se trouve en exil, Jugend ohne Gott est le plus célèbre roman d’Ödön von Horvàth, écrivain peu connu en France, mais qui fut l’un des grands écrivains anti-nazis des années 30. C’est un roman dont il n’est pas si facile de parler: sur la trame d’une histoire criminelle, le narrateur, un professeur soumis aux injonctions nouvelles d’un régime qui entend avant tout préparer les jeunes gens à la guerre, fait l’expérience du nihilisme nouveau, auquel lui même n’est pas tout à fait étranger, depuis que l’expérience traumatisante de la Grande guerre l’a fait renoncer à toute foi religieuse. Comment résister à la montée du fanatisme, de l’endoctrinement quand on a soi-même renoncé à tout idéal? Obligé de plier devant un pouvoir que l’on ne rencontre jamais en face au cours du roman, mais qui s’insinue dans tous les esprits par les moyens de communication, la radio, les circulaires confidentielles envoyées à l’administration, c’est l’individu lui-même qui est ici en jeu, sa pérennité, son destin. De façon plutôt subtile, par petites touches d’un discours intérieur qui voit le professeur assister avec effroi et incompréhension à la levée d’un monde qui est la négation même de l’humain, l’entrée dans l’ “ère des poissons”, pour reprendre la métaphore de l’auteur, Ödön von Horvàth a donné un portrait, de l’intérieur, de la vitrification totale d’une société, au nom du pseudo principe de réalité, professé à longueur d’ondes par le régime nazi pour légitimer sa politique.

Sur le plan de la forme, il s’agit d’un roman paradoxal, sans doute, le régime réduisant a priori toute possibilité à l’histoire de s’envoler: l’épisode de l’aventure amoureuse de Z et de la jeune voleuse, la curiosité malsaine du professeur lisant en secret le journal de Z, et même l’enquête, puis le procès qui s’en suit, accusant à tort Z, puis la jeune fille, rien ne parvient à prendre cette forme romanesque qu’on se serait attendu à trouver sous la plume d’un auteur nourri de la grande tradition littéraire autrichienne. Désespérément plat jusqu’à la fin du récit, il semble que le roman soit lui-même le témoignage d’un monde duquel s’est enfui tout romanesque depuis qu’il n’y a plus de place dans le pays ni pour l’imagination, ni pour l’individu, ni pour la foi elle-même.

Ironie d’un monde sans dieu, la mort d’Ödön von Horvàth restera sans doute, pour tous ceux que désespèrent les sombres coïncidences, comme le symbole de cette époque d’absurdité: au moment de l’accession au pouvoir d’Hitler, Hörvàth s’était réfugié à Vienne; après l’Anschluss, il fuit, de nouveau, et finit par gagner Paris, après un périple à travers l’Europe. C’est là qu’il meurt, bêtement, sottement, écrasé par la chute d’un arbre devant le Théâtre Marigny. Le projet d’une adaptation cinématographique de Jeunesse sans Dieu, discutée un temps avec Robert Siodmak, ne verra jamais le jour.

8 réflexions sur « Ödön von HORVÀTH: Jeunesse sans Dieu »

    1. Pas très réjouissant en effet, mais en même temps c’est un précieux témoignage sur l’enfermement des esprits dans un système totalitaire.

    1. C’est un texte peu connu, du moins en dehors de l’aire culturelle germanique, mais qui mérite vraiment d’être découvert.

  1. J’ai lu récemment “Automne allemand” du suédois Stig Dagerman qui parle de la jeunesse allemande nazie après la guerre et des procès de dénazification où elel doit comparaître. Aussi ce livre de Von Horvàth qui raconte comment cette jeunesse a été préparée à adhérer à cette idéologie ne peut être qu’intéressant.

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