Virginia WOOLF: Nuit et Jour

Virginia WOOLF: Nuit et Jour

Nuit-et-Jour.jpgIls sont quatre. Quatre jeunes gens. Katherine Hilbery, petite fille d’un poète de fiction qui fut l’équivalent en son temps de Coleridge ou de Shelley, a grandi dans le culte de son grand-père, dans une maison consacrée toute entière à la lecture et à la poésie. Elle s’est fiancée avec William Rodney, homme délicat, mais un peu égoïste, qui se pique de théâtre et est hanté par les convenances et les bonnes manières. Ralph Denham, jeune juriste, condamné à travailler afin de subvenir aux besoins de sa famille est l’ami de Mary Datchet, une suffragette, engagée dans le combat de la reconnaissance du droit de vote des femmes. Au cours d’un chassé croisé, dont l’enjeu est d’abord chacun des personnages eux-mêmes, la conquête de leur individualité et de leur indépendance, les quatre jeunes gens vont se croiser, mêlant les valeurs et les aspirations, dans le cadre d’une ville de Londres superbement rendue et d’atmosphères évocatrices promptes à souligner la variation des points de vue et les atermoiements du sentiment amoureux…

 

Je dois d’abord un grand merci à Lou. J’ai eu très vite envie de me lancer dans ce roman peu connu de Virginia Woolf, après la lecture de son billet élogieux, et franchement je ne le regrette pas. C’est un roman magnifique. Un beau roman d’amour d’abord, qui de ce point de vue ne déçoit pas, une sorte de version début XXème du récit sentimental à la Jane Austen. Mais c’est aussi plus que cela: une belle réflexion sur l’opposition de deux tempéraments – contemplatif et entreprenant, poétique et scientifique -, de deux mondes – l’ancien et le nouveau -, de deux Angleterre -oisive et laborieuse- à un moment de grande mutation de la société britannique – une oeuvre attentive à donner une représentation romanesque des éléments de la vie moderne: l’individu perdu dans la foule, le mouvement des transports (bus, taxis), la conquête de la liberté individuelle, le droit des femmes à l’indépendance.


Esthétiquement très maîtrisé, même si ce n’est que le deuxième roman de Virginia Woolf, antérieur donc aux nouveautés formelles des oeuvres à venir (Mrs Dalloway,…), ce Nuit et Jour est construit autour de deux grands principes formels: l’alternance des lieux, clos et ouverts, donnant une place très importante aux nombreuses promenades et déambulations des personnages dans Londres ; et la récurrence de tours poétiques évoquant les mouvements de l’âme en des termes marins: vagues, phare, mouettes. La présence permanente de la Tamise, coulant inexorablement, accompagne de sa présence sourde l’évolution des personnages et travaille à joindre en une seule image lourde et mobile, ces deux thématiques formelles du livre. Les différents lieux du roman s’en détachent: Highgate, Russell Square à Bloomsbury, le Strand, Chelsea, offrant aussi un élément de continuité saisissant dans la diversité d’une ville mouvante à l’image de la diversité de ses habitants.


Il en ressort une impression de liberté romanesque tout à fait passionnante, dans la mesure où dans cette histoire tout est justement affaire pour les personnages de conquête de l’indépendance face aux enfermements de toutes sortes. On répète à loisir qu’il s’agirait encore sous la plume de Virginia Woolf d’une oeuvre classique. Certes, au regard de l’oeuvre future. Mais il serait dommage de passer à côté des belles libertés déjà de ce roman. Il y a là quelque chose en effet qui m’a fait pensé plusieurs fois à Henry James ou d’une autre manière à Graham Greene: comme Greene en effet Woolf procède ici sur la trame commune d’un genre convenu, mais en s’offrant au passage de magnifiques moments de liberté narrative. Ainsi ses personnages progressant par petits bonds infinitésimaux, glissant insensiblement au dehors du personnage dans lequel leur position personnelle ou la situation sociale menace de les enfermer. Ou bien le chapitre très réussi où l’on voit Katherine s’élancer paniquée dans Londres, à la recherche de Ralph: un moment de pur délice et d’une rare intensité, où, tout en faisant bondir le coeur de son lecteur, Virginia Woolf trouve à prouver son talent rare à donner une forme littéraire à ces objets nouveaux que sont justement la foule ou la ville moderne confrontés à l’expérience de la solitude individuelle.

 

 

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Virginia Woolf, Nuit et Jour (1919). Points, 2011.


10 réflexions sur « Virginia WOOLF: Nuit et Jour »

  1. Je ne lis pas encore ton billet, car ce livre est dans ma PAL de vacances, et que je compte le lire dans les jours qui viennent !
    Je viendrai lire ton avis après…

  2. En effet, tu es complètement conquis ! J’aurais aimé être aussi enthousiaste que toi. Mais c’est un très beau billet, je suis d’accord avec les autres.

  3. @Lilly: “conquis” est bien le mot en effet, et surtout plus que convaincu de poursuivre au plus tôt ma lecture des autres oeuvres de Virginia Woolf.

  4. Je partage totalement l’avis de Perrine : quel magnifique article ! Tu parles superbement de ce livre. Je vais forcément le lire puisque tout ce qu’a écrit Virginia Woolf m’intéresse et ce que tu
    en dis me donne envie de courir l’acheter !

  5. @Titine: j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre et j’espère qu’il t’intéressera aussi. Mais si ce que tu aimes chez Virginia Woolf, ce sont les nouveautés formelles, tu risques
    d’être un peu déçue. Ce roman-ci est plutôt dans le style de La traversée des apparences.

  6. Je n’ai pas trop accroché aux recherches formelles de Virginia Woolf dans les quelques romans que j’ai lus d’elle et j’assume ! Celui-là me semble intéressant, j’aime bien la mise en avant des
    lieux.

  7. @Urgonthe: tu devrais essayer celui-ci, parce qu’il est moins formaliste que les autres. Peut-être te fera-t-il enfin aimer Virginia Woolf. Pour ma part, je suis conquis. J’ai
    toute la pile de ses oeuvres qui n’attendent plus que d’être lues.

  8. Wahou ! Bravo, superbe billet 🙂 Tu écris vraiment très bien. Et rien qu’à parcourir ton commentaire, j’ai envie de le relire ! Je ne lui rend définitivement pas hommage… à redécouvrir !

  9. @Perrine: merci pour ce commentaire élogieux . En tout cas, si je t’ai donné envie de le relire, je
    considère que mon billet est réussi… et d’autres sur les oeuvres de Woolf ne devraient pas tarder à suivre.

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