Emile ZOLA: La Conquête de Plassans
François Mouret, qui a fait fortune dans le commerce de vin en gros, est venu s’installer à Plassans, où il compte mener la vie de rentier que lui promet le gîte paisible qu’il occupe avec sa famille, situé entre la sous-préfecture, attachée au pouvoir impérial, et la villa des Rastoil, où se réunit le parti royaliste. Heureux de n’être d’aucun parti, François passe son temps dans son jardin où il se plait à cultiver ses fruits et ses légumes. Mais la maison est spacieuse. Et François songe à louer le deuxième étage de la demeure, contre l’avis de sa femme, Marthe, qui craint que la présence d’étrangers ne trouble le bonheur qu’ils ont su y construire. Finalement, l’appartement est loué, à un ecclésiastique, l’abbé Faujas, venu, avec sa mère, de Besançon. Les Mouret ne savent pas encore ce qu’il leur en coûtera d’avoir fait entrer dans leur vie l’homme que Paris a envoyé secrètement pour reconquérir politiquement Plassans…
La Conquête de Plassans aurait pu être le roman du bonheur familial. Mais l’image, par quoi le roman s’ouvre, de la famille goûtant sur la terrasse les derniers jours d’été est tout sauf un manifeste. L’image seulement d’un paradis perdu, ambition dominante de cette branche des Rougon-Macquart que les deux fils aînés n’auront de cesse de retrouver: le futur abbé Mouret et Octave, bientôt homme à femmes, puis créateur de Grands Magasins parisiens. Car dès le départ, il y a quelque chose de fissuré dans cette image trop parfaite d’une famille qui croit trouver dans la réunion d’elle-même tout ce qui convient à son bonheur. Peut-être est-ce que la clôture familiale (c’est la fatalité de toutes les familles!) est ici plus présente qu’ailleurs, en quelque sorte repliée sur elle-même, par le fait que Marthe et François sont cousins germains, que les parents de l’un donc sont l’oncle et la tante de l’autre, qu’ils ont en commun la même grand-mère. Et pas n’importe quelle grand-mère: Adélaïde Fouque, la «matriarche» des Rougon-Macquart! L’image de Désirée, troisième enfant de la famille, une jeune fille attardée qui adolescente. joue encore à la poupée comme une enfant, rappel de la consanguinité des deux époux, n’est-elle pas aussi l’image, faussement innocente, de la grand-mère Fouque, internée, près de Plassans, dans un asile d’aliénés? Voilà que dans l’Éden paraît donc déjà le serpent: la proximité des deux époux, déraisonnable, puisqu’elle est aussi biologique, est moins une promesse de bonheur qu’elle ne rend plus inquiétante la fatalité que, chacun à sa manière, tous les Rougon-Macquart affrontent: la menace de la folie. Le mal est dans le fruit. Et ce n’est pas le tentateur qui est la vraie source du mal, ici incarné dans la figure inquiétante de l’abbé Faujas, comme le roman du XIXème siècle aime en produire, lui-même d’ailleurs le jouet d’une autre fatalité familiale, héritée d’une autre province, de Besançon, où il semble que depuis Balzac (Albert Savarus) et Stendhal (Le Rouge et le Noir) on ne passe plus son temps qu’à faire œuvre d’ambition jalouse et d’auto-destruction.
Sur le plan stylistique, la transition du Ventre de Paris à La Conquête de Plassans est nette. Après ce pur moment descriptif, cette apothéose de jouissance contemplative et critique qu’était le tome précédent, le quatrième volume des Rougon-Macquart offre comme une ascèse délivrée de pratiquement toute description. L’évocation des lieux se fait par l’énoncé suggestif des actions des personnages: le coin de jardin où Mouret cultive ses légumes, la tonnelle qui abrite les aller-et-venues de Faujas récitant son rosaire, l’impasse derrière les maisons qui accueille à l’occasion une partie de raquettes .
On retrouve aussi ce qui faisait l’attrait du premier épisode de la série (La Fortune des Rougon). Revenu dans cette province d’où part toute l’histoire des Rougon-Macquart, on se rappelle quelle fatalité les rapproche. A Paris, ils vivent séparés, au point que Lisa Quenu peut se plaindre d’avoir un cousin richissime, Saccard, qui fait mine de ne pas la connaître, ou qu’on peine à concevoir que le ministre Eugène Rougon et Gervaise soient issus de la même famille. En province, rien de tel. Dans ce creuset qu’est Plassans, on se côtoie et on se hait en voisin. Les grandes ambitions se nouent dans la proximité des mesquineries familiales.
6 réflexions sur « Emile ZOLA: La Conquête de Plassans »
Une découverte pour moi dans la série des RM ; j’ai adoré dès le départ l’abbé Faujas, personnage très physique. L’intrigue est bien bâtie, il n’y a qu’à la fin que Zola s’égare dans le
spectaculaire…
@Urgonthe: c’est un des mes préférés aussi.
Le pouvoir de l’église comme Emile Zola aimait à le montrer.
La conquête de Plassans est un fabuleux roman d’intrigue politique.
Le Rouge et le noir n’est point de Flaubert, mais de Stendhal, comme chacun sait.
@MICHEL: Gloups! C’est un flagrant délit!
La conquête de Plassans est le « Rougon Macquart » que je préfère. Le personnage de la figure de l’abbé Faujas (son arrivée avec sa mère, un soir, dans le foyer des Mouret!) est inoubliable…