Jaan KROSS: Le Fou du Tzar

Jaan KROSS: Le Fou du Tzar

Les von Bock sont des barons baltes, au temps de la domination russe, qui ont su prouver leur fidélité à l’empereur. Pourtant qu’est-ce qui a bien pu pousser le colonel Timotheus von Bock, jeune et brillant héritier du titre, à adresser à l’empereur une missive aussi impertinente dénonçant le pouvoir personnel qu’exerce Alexandre Ier? Le sens de l’honneur encore, de la fidélité ? Parce qu’il est l’ami personnel de l’empereur et que celui-ci lui a fait jurer naguère de toujours lui dire la vérité ? Parce que Timo est seulement un peu en avance sur son temps? Conduit à la forteresse de Schlüsselburg, le jeune homme va y passer neuf années, enfermé dans le plus grand secret. Libéré finalement au prétexte qu’il aurait perdu la raison, il est assigné à résidence dans son domaine de Livonie. Autour de lui la surveillance s’organise…

La Livonie, province balte de l’empire russe, dans les années 1810-1830. Des hobereaux prussiens servant la Russie. Une société en mutation à une époque qui est celle des grands mouvements nationaux, de la découverte d’une langue, d’une littérature nationale – tout ceci suffit au divertissement que procure ce roman, et c’est son premier attrait.

Pourtant, ce que le résumé montre à peine, c’est qu’il s’agit plus que de cela, puisqu’il s’agit d’un grand roman historique. S’inspirant d’un personnage et d’événements réels, Jaan Kross creuse dans son récit le matériau historique, interrogeant les motivations d’un personnage, l’incompréhension de ses contemporains, la dynamique des événements culturels et la force du despotisme.

Timo, “le fou du tzar”, est une personnalité attachante, dont le drame est d’avoir eu raison un peu trop tôt. Convaincu que la naissance seule ne fait pas le rang, il tombe amoureux d’une fille de paysans, Eeva, qu’il épouse après avoir veillé à ce qu’elle reçoive une éducation. Proche de l’empereur, il milite pour l’adoption d’une Constitution. Mais si Eeva, la fille du peuple, deviendra une grande dame, le souverain ne sait pas se montrer à la hauteur du destin que Timo lui présente. Celui-ci est emprisonné et doit subir la violence du système de répression russe.

Jaan Kross ne tait rien de la brutalité de ce système et des perversions qu’il entraîne.  Au récit des dents de Timo brisées en prison succède bientôt la longue suite des hommes envoyés à Voisiku, le domaine familial des von Bock où Timo est assigné à résidence, pour y exercer servilement les fonctions d’espion de l’empereur. Cependant que les années passent, la surveillance se resserre. Le propre beau frère de Timo devient le geôlier de sa semi-liberté, arrangeant luxueusement sa vie à ses dépends, disposant de toutes les clés de son domaine.

La difficulté du roman historique est de ne pas être seulement un récit historique, mais d’abord un roman. Jan Kross résoud cette difficulté en faisant tenir la plume à Jakob Mättik, le frère d’Eeva. C’est lui qui, dans son journal secret, fait entrer le lecteur dans la substance du temps, ajoutant au récit privé d’un grand personnage politique que l’Histoire a oublié, son propre chemin de vie, ses amours, ses espoirs, ses questionnements d’homme du commun, confronté à l’énigme de la folie de Timo.

Ne faut-il pas être fou en effet pour accomplir ce que Timo a osé ? A moins que la folie ne soit un motif commode pour faire oublier la nécessité d’une réforme telle que celle prônée par Timo? Or que penser à son tour de la folie d’un système dans lequel le roi n’accepte plus d’entendre la vérité, même lorsqu’elle lui vient de son fou? Ne se pourrait-il pas que la “folie” de Timo soit le symptôme de la maladie d’un âge nouveau? d’une forme nouvelle – totalitaire – de la tyrannie ?

 

8 réflexions sur « Jaan KROSS: Le Fou du Tzar »

  1. J’avais vraiment ce roman, certes pour sa dimension historique, mais surtout pour la manière très subtile avec laquelle l’auteur nous attache à ses personnages, le narrateur y compris, alors que d’emblée ce dernier peut sembler fade…

    1. Oui, c’est ce que j’ai aimé aussi. C’est ce qui fait que le roman fonctionne et que dans cet espèce finalement relativement clos dans lequel se passe le roman on trouve du romanesque.

    1. Le narrateur met aussi un peu d’humanité dans l’histoire face à la machine politique et aux figures admirables, mais inaccessibles de sa soeur et de son beau-frère.

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