Le plaisir de relire

Le plaisir de relire

Dans ma bibliothèque, il y a beaucoup de livres. Je rêvais, adolescent, d’habiter un sous-sol de la Bibliothèque nationale. Les dessins de manoirs hantés de livres me faisaient rêver. Mais avec l’âge adulte, la nécessité d’organiser un espace vivable, m’a conduit à les disperser en plusieurs endroits. J’en revends parfois certains. Un nombre important se trouve dans un placard ou au grenier, soustrait à la vue immédiate. Cette disposition a un avantage. Elle permet des roulements, par exemple des grands albums d’art auxquels je réserve trois étagères dans mon salon – le reste est dans les combles. Or ces déménagements de livres sont mon autre passion. Je crois avoir essayé tous les modes de classement: par genres, par pays, par éditions, par collections, et même, quand j’étais plus jeune, selon l’ordre d’arrivée des livres. Le journal de lecture que constitue ce blog n’a pas d’autre origine que le désir d’ajouter une autre couche encore à ce plaisir de l’organisation: j’aime dérouler sur la page d’en-tête de ce blog ces couvertures de livres se développant dans l’ordre antechronologique de la lecture, qui se révéla rapidement être celui du moment où je trouve le loisir de rédiger un billet, de nombreux livres attendant encore le moment d’être critiqué. Ce qui a ajouté un élément d’organisation de plus dans ma bibliothèque, ou plutôt de désorganisation puisqu’il s’agit en l’occurrence de piles, de tas de livres qui sur mon bureau, à côté de mon lit attendent le moment de la chronique.


En un sens donc, un blog, même si celui qui l’écrit n’est pas dominé par la passion autocélébratrice, est bien une sorte de journal. Mais avec le recul, il manque quelque chose d’essentiel à ce journal. D’abord je ne dis rien des livres que je lis en partie, notamment des articles, des extraits de livres critiques. On peut considérer ceci comme l’arrière cuisine de ma vie de lecteur, le moment réflexif qui prépare, prolonge, approfondit le plaisir que je prend à lire un livre, et à en parler. C’est quelque chose comme des fragments interprétatifs dans lesquels un lecteur reflète ses interrogations et dont le patchwork se construit, en conversation avec l’écriture créatrice des écrivains.


Mais il manque surtout à ce journal le compte-rendu de ce à quoi j’occupe une partie importante de mes soirées de lecteur: la relecture. Pour en rester aux simples quinze jours passés, ce que j’ai lu, c’est d’abord ce que j’ai relu: les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes, le début d’Une Vie de Maupassant, cent pages dans Proust (A l’ombre des jeunes filles en fleurs), quelques autres glanées dans Les Caractères de La Bruyère, les passages sur Gênes de L’art italien de Chastel. J’ai feuilleté Absalon! Absalon! de Faulkner dont je n’arrive pas à me remettre l’histoire en mémoire. En pensant à Henry James, j’ai tenté de nouveau de me plonger dans les Contes et récits d’Hawtorne, qui de nouveau m’est tombé des mains, là où je l’avais laissé la première fois, à l’issue de la deuxième nouvelle. Enfin, j’en suis à la moitié de Madame Bovary. Qui émergera de cet iceberg? Le dernier titre seulement. Conduite jusqu’au bout, ma relecture du roman de Flaubert lui donnera accès à cette tribune. 


Qui a dit qu’avec Internet, les réseaux sociaux, les blogs s’effaçait la limite entre la vie publique et la vie privée? Dans une certaine mesure il y a quelque chose de vrai là-dedans. Mais la pratique confirme ce que je savais depuis la lecture du Journal d’Amiel: que le journal intime ne peut atteindre la vie que lorsqu’il se substitue à la vie, lorsqu’il devient l’acte dominant, voire exclusif d’une vie. En dehors de ce cadre, ce que nous pratiquons ici n’est qu’une forme moderne de conversation.


4 réflexions sur « Le plaisir de relire »

  1. Bonsoir, c’est bien de pouvoir relire, j’aimerais bien mais j’ai tellement de livres à lire et malheureusement peu de temps (depuis 3 ans, mon blog me prend beaucoup de mon temps libre) et puis je
    ne lis pas si vite que cela, que je n’arrive pas à relire mais autant je revends des romans vite lus, vite oubliés autant j’ai un fonds de bibliothèque auquel je tiens beaucoup en me disant que je
    relirais un jour certains ouvrages. Bonne soirée.

  2. Ton billet est à la fois très beau et très juste. Il y a aussi les livres sur lesquels on n’a rien à dire, et ceux dont le type ne correspond pas à ce dont on veut parler (les essais en ce qui me
    concerne).
    Je n’ai pas lu les premiers contes d’Hawthorne, mais tu devrais peut-être commencer par “Le voile noir”…

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