Marlen HAUSHOFER: Dans la mansarde

Publié par Cléanthe le

Un mari, de grands enfants, une maison, le poids des habitudes et des tâches quotidiennes… Sa vie semble n’avoir rien d’exceptionnel! Mais, pour s’arracher à cette banalité, elle a un secret: chaque jour, elle monte dans la mansarde, ce coin retiré où elle retrouve les pages de son propre journal intime, reçues mystérieusement par la poste, et ses travaux d’illustratrice. Entre routine domestique et refuge intérieur, elle note, elle consigne, du dimanche au dimanche, une semaine de cette existence ordinaire que l’écriture vient fissurer et révéler dans toute sa profondeur cachée…

Après Le Mur invisible, j’ai voulu poursuivre ma découverte de Marlen Haushofer et je me suis plongé dans Dans la mansarde. C’est un roman plus discret, moins spectaculaire, mais qui n’en éclaire pas moins le regard singulier de l’écrivaine autrichienne sur la condition féminine, la solitude et la fragilité du monde intérieur. La narratrice, femme mariée et mère, vit dans une maison bourgeoise. Chaque jour, elle reçoit par la poste quelques pages de son propre journal intime – comme si son passé lui revenait par fragments. Elle monte alors se réfugier dans la mansarde pour les lire. Cet espace retiré devient le lieu d’une respiration secrète, à l’écart des tâches domestiques, du mari et des enfants. Là, dans cet abri qui la protège et l’isole, elle confronte ses souvenirs, ses désirs, ses peurs, et tente de comprendre ce qui lui échappe de sa vie.

Haushofer excelle à montrer ce décalage entre l’image sociale d’une femme – épouse et mère irréprochable – et la voix intérieure qui doute, qui ironise, qui rêve d’autre chose. Les pages du journal, rédigées des années plus tôt, font surgir l’écart entre celle qu’elle était et celle qu’elle est devenue. C’est toute la question de l’identité, du temps qui passe et du compromis avec la société qui se joue dans cette lecture de soi par soi.

On retrouve ici le motif, cher à Haushofer, d’un espace clos qui ouvre paradoxalement sur une liberté intérieure : la mansarde, comme le mur invisible, met la narratrice à distance du monde pour lui permettre de l’observer autrement. Mais la retraite n’a rien d’héroïque : elle est faite de lucidité, de mélancolie, parfois d’ironie mordante. La représentation du temps qui était déjà l’une des grandes réussite du Mur invisible occupe ici encore une place à part: ce temps cyclique de la semaine, avec ses tâches répétitives, ses visites et ces échappées d’un temps pour soi, hanté par les souvenirs du passé et une possible violence à venir (car enfin, quelles sont les motivations de ce correspondant mystérieux qui, par delà les années lui envoie quotidiennement les pages de son carnet intime?). C’est sur cette fin ouverte que s’achève le roman, comme si une vie de femme ne pouvait pas être totalisée, réduite à un destin, avec un début, un milieu et une fin, comme cela arrive habituellement dans les romans.

Voici une belle lecture donc, qui complète ma découverte d’une autrice dont l’œuvre se révèle d’une force et d’une cohérence remarquables. Dans la mansarde, roman de l’intime moins connu que Le Mur invisible, m’a paru d’autant plus touchant qu’il donne à entendre une Haushofer plus proche, plus fragile: une voix ironique et désabusée, qui trouve dans un recoin de maison un espace pour penser sa vie et donner forme à une vérité singulière. On ne peut que regretter que sa mort prématurée, survenue peu après la parution de ce dernier roman, ne lui ait pas permis de poursuivre plus avant ce travail lucide et nécessaire.

« Je commençai de mettre la table pour la « gentille dame » tout en me disant que vraiment rien ne m’obligeait à la recevoir sinon l’habitude. Il aurait suffi que je laisse ma porte fermée ou que je lui dise: « Rentrez chez vous! Je ne suis pas d’humeur à vous voir aujourd’hui », ou encore: « Si vous preniez un cornichon plutôt qu’un café et du kouglof, ça me donnerait beaucoup moins de mal. J’imaginai sa tête et de nouveau je partis à rire. Je fis pourtant sagement ce qu’il fallait faire, je mis la table, apportai le kouglof et posai la bouilloire sur la plaque chauffante. La gentille dame était toujours très ponctuelle; pour ça, on pouvait lui faire confiance. »

Marlen Haushofer, Dans la mansarde (Die Mansarde1969), traduction: Miguel Couffon, Babel/Actes Sud


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