Jules VERNE: Vingt mille lieues sous les mers
1866 : les mers du globe sont troublées par l’apparition d’un « monstre » inconnu. Le professeur Aronnax, naturaliste français, est invité à participer à une expédition navale destinée à le traquer. Accompagné de son fidèle domestique Conseil et du harponneur canadien Ned Land, il embarque à bord de l’Abraham Lincoln. La rencontre avec la créature ne tarde pas… mais elle prend un tour inattendu : le monstre n’est autre qu’un navire d’un genre nouveau, le Nautilus, commandé par l’énigmatique capitaine Nemo. Prisonniers volontaires ou involontaires, les trois compagnons découvrent alors un monde insoupçonné : celui des profondeurs marines…
Il y a des romans qui semblent toujours présents dans notre imaginaire, même lorsqu’on ne les a jamais lus. Vingt mille lieues sous les mers appartient à cette catégorie. Tout le monde connaît le capitaine Nemo, le mystérieux sous-marin Nautilus, et cette plongée au cœur des océans. Mais relire ou découvrir le roman de Jules Verne, c’est se rendre compte à quel point il dépasse les images toutes faites que l’on en a gardées. Pour ma part, il s’agissait d’une troisième lecture. J’avais déjà ce roman une première fois vers 9 ou 10 ans; la lecture m’en avait semblé pénible, à côté d’autres romans de l’auteur, Le Tour du monde en 80 jours notamment, mon préféré, que je tenais précieusement noté alors sur la liste des livres à emporter sur l’île déserte. J’en ai abordé la lecture une deuxième fois, devenu adulte, en Bretagne, où le roman avait su égailler quelques trop longues journées d’une année que les jeunes gens de mon époque devaient, au sortir de leurs études, à la défense nationale. La lecture m’en avait beaucoup plus plu, j’avais couru ensuite à l’aquarium de Brest, lu à la suite plusieurs autres romans de l’auteur, et Jules Verne, avec quelques autres (Conrad, etc.) a contribué à transfigurer d’un peu d’imaginaire cette année passée sous la casquette de Marine et l’uniforme. Je ne me suis pas plus ennuyé à ma toute nouvelle lecture, conduite pour des raisons plus académiques. Et je dirais même que j’y ai redécouvert pour partie un texte que je croyais justement bien connu.
Difficile de traiter donc en quelques mots d’un tel texte. Proprement « extraordinaire« , selon le titre même de la série des Voyages extraordinaires que Jules Verne publia sous la couverture rouge et or des éditions Hetzel, Vingt mille lieues sous les mers mêle le roman d’aventures, la science, et une véritable rêverie poétique sur l’océan. C’est la formule découverte par Jules Verne, ce triple voyage dont parle Michel Serres dans ses écrits sur Verne: une triple exploration de l’espace, de la science et des grands mythes humains. Les épisodes spectaculaires s’y enchaînent : traversée des bancs de corail, tempête dans le détroit de Torres, exploration de l’Atlantide engloutie, menace d’être piégés sous la banquise du pôle austral, chasse aux monstres marins… Chaque étape est l’occasion de déployer un savoir encyclopédique, mais aussi une méditation sur l’homme et son rapport à la nature.
Car au centre du livre, il y a Nemo. Figure ambivalente, à la fois savant, artiste, justicier et despote, il incarne le rêve d’indépendance absolue face aux nations et à leurs guerres, mais aussi la tentation de l’isolement et de la vengeance. C’est à travers lui que le roman prend une profondeur presque philosophique : derrière les aventures, une interrogation sur la liberté, la violence du monde moderne, et la possibilité de vivre « en dehors ».
Vingt mille lieues sous les mers aura une suite: L’île mystérieuse, une robinsonnade, où tombera (je suis de ceux qui le regrettent) l’anonymat du capitaine Nemo. Mais ceci est une autre histoire, dont je reparlerai sans doute au cours de ce qui ressemble de plus en plus pour moi, les lectures s’enchaînant aux lectures, à une année vernienne! Avant, ce sera le tour de la Mer Noire en compagnie de Kéraban le têtu, un roman dont j’achève la lecture aujourd’hui même en vue de l’étape mensuelle de septembre des Escapades en Europe.

– Monsieur le professeur, répliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé ! J’ai rompu avec la société tout entière pour des raisons que moi seul j’ai le droit d’apprécier. Je n’obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les invoquer devant moi!»
Ceci fut dit nettement. Un éclair de colère et de dédain avait allumé les yeux de l’inconnu, et dans la vie de cet homme, j’entrevis un passé formidable. Non seulement il s’était mis en dehors des lois humaines, mais il s’était fait indépendant, libre dans la plus rigoureuse acception du mot, hors de toute atteinte ! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui ? Quel navire résisterait au choc de son monitor sous-marin ? Quelle cuirasse, si épaisse qu’elle fût, supporterait les coups de son éperon ? Nul, entre les hommes, ne pouvait lui demander compte de ses œuvres. Dieu, s’il y croyait, sa conscience, s’il en avait une, étaient les seuls juges dont il pût dépendre.
Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit, pendant que l’étrange personnage se taisait, absorbé et comme retiré en lui-même. Je le considérais avec un effroi mélangé d’intérêt, et sans doute, ainsi qu’Œdipe considérait le sphinx.Jules VERNE, Vingt mille lieues sous les mers (1869), Première partie, Chapitre X
1 commentaire
claudialucia · 10 septembre 2025 à 16 h 21 min
Je l’avais lu dans la bibiothèque verte quand j’étais enfant mais pas relu depuis. Je suis sûre qu’il ne me reste pas grand chose !
Je serai présente le 15 avec Kereban le têtu.