François QUINAULT: Armide
Dans le Prologue du spectacle la Gloire et la Sagesse, en dialogue, chantent la douceur des lois du roi Louis XIV et ses « glorieux exploits ». Vertus à illustrer par l’exemple édifiant de Renaud, héros sorti du Tasse ! Est-il sûr cependant qu’à se piquer d’amour la tragédie, surtout lorsqu’elle est mise en musique, puisse s’en tenir à cette fin édifiante ? Ici commence l’histoire tragique de l’amour de la magicienne Armide pour le beau chevalier Renaud…
Avec Armide, livret d’un opéra de Lully écrit par Quinault, ou comme il serait plus juste de dire « tragédie en musique », je plonge pour quelques temps dans l’univers théâtral du 17e siècle, un univers trop souvent réduit aux seuls trois noms de Corneille, de Racine et de Molière. Si la lecture de l’extraordinaire profusion de pièces qu’a produite le 17e siècle confirme volontiers le jugement des siècles, il y a dans cette profusion même tellement de textes étonnants que c’est en perdre quelque chose, même pour la compréhension du génie des trois grands, que d’en limiter justement la lecture et négliger toute cette moisson d’auteurs. J’avais déjà fait l’expérience il y a quelques années avec Shakespeare et le Théâtre élisabéthain. La plongée dans les trois beaux volumes que la Bibliothèque de la Pléiade consacre au Théâtre du XVIIe siècle confirme ce sentiment. Première étape donc de ce parcours « dix-septiemiste » : Quinault et son livret Armide.
S’il est avec Lully l’un des inventeurs de l’opéra français, Philippe Quinault n’a pourtant commencé que tardivement à écrire pour la scène lyrique. Né en 1635, fils d’un maître boulanger parisien, il est entré très tôt au service de Tristan Lhermite, un autre de ces dramaturges du Grand Siècle dont j’aurai bientôt à parler. Auteur reconnu, fêté, présenté parfois comme le « rival de Racine », quand bien même cette expression ne signifie pas grand chose, il a été l’auteur de tragédies et de tragi-comédies qui donnent une place importante à l’Amour, un Amour l ’emportant sur tout et justifiant tous les comportements, même si ce n’est pas sa seule thématique, et qui developpent une vision de l’homme proche des Moralistes, celle d’un être conduit par la Fortune et ses humeurs. Il fut aussi très proche du pouvoir, célébrant les grands événements royaux.
Après des débuts prolifiques, puis une deuxième période plus proche de la Cour où il acquiert titres et reconnaissance, Quinault se tourne, tardivement, vers un genre nouveau, celui de la « tragédie en musique » : d’Alceste (1674) à Armide (1686), douze années de création lyrique en collaboration avec Lully vont faire triompher l’opéra français. Cette activité de librettiste d’opéra a parfois réduit la gloire de Quinault. C’est un anachronisme, négligeant ce que le genre de « tragédie en musique » avait justement de théâtral aux yeux des deux artistes. C’est oublier encore que Quinault connut une gloire posthume au 18e siècle lorsque ses livrets furent systématiquement repris par une génération de compositeurs nouveaux qui, débarassant le texte de Quinault de la musique de Lully, composèrent sur les mots du poète dramatique de nouveaux airs, une nouvelle musique. L’exemple le plus célèbre en est justement l’Armide de Gluck, reprenant, sans rien y changer, en 1777, le livret qui avait été écrit par Quinault pour Lully en 1686.
Tirée d’un épisode de La Jérusalem délivrée du Tasse, Armide raconte les amours malheureuses de Renaud et d’Armide. Nièce du magicien Hidraot, roi de Damas, Armide est parvenue à désorganiser l’armée de Godefroi de Bouillon en séduisant tous ses chevaliers. Renaud seul a résisté. Mais ayant suscité la colère de Godefroi, Renaud a dû s’éloigner du camp des chevaliers et s’est réfugié dans une campagne accueillante où Armide, déterminée à exercer sur lui sa magie, lance ses démons qui l’enchantent et l’endorment au bord d’une rivière. C’est compter cependant sans une autre magie! Contemplant Renaud dans son sommeil, Armide tombe éperdument amoureuse du jeune et beau chevalier. Et la magicienne ne trouve d’autre recours que d’enchanter le jeune homme à l’aimer, vivant avec lui un amour qu’elle sait factice et voué à l’échec lorsque celui-ci sera revenu de son enchantement.
A travers cette histoire, variation du Tasse sur le motif déjà consacré par Homère de la plainte déchirante de la nymphe Calypso, Quinault a composé une tragédie peut-être moins voluptueuse qu’elle n’était sous la plume du poète italien, dont Quinault censure les audaces, notamment une scène ahurissante de voyeurisme. Mais c’est une tragédie bien éloignée sans doute aussi des attentes de la Cour en matière d’édification morale, au moment où la reprise en main religieuse du royaume croit, sous l’influence notamment de Madame de Maitenon et des scrupules nouveaux du roi Louis XIV. Et cela suffit peut-être à expliquer que l’opéra ne fut jamais représenté à la Cour, quand bien même il connut un grand succès à la Ville.
Au lieu donc d’édifier son public, Quinault avec Armide a offert au théâtre français du 17e siècle l’un de ses personnages féminins les plus pathétiques. Et cela suffirait, au-delà de la musique de Lully, qui en développe cependant le motif avec un art consommé, notamment dans un air final absolument sublime, à faire tout le prix de la tragédie de Quinault. Un tragédie donc à lire absolument en musique, celle de Lully… et puis celle de Gluck pour découvrir peut-être d’autres accents ! Et puis pourquoi pas continuer alors par d’autres opéras de Gluck, par exemple l’extraordinaire Orfeo ed Euridice, une œuvre que je place au sommet de mon Olympe musical. Mais voilà que je m’éloigne de ce beau 17e siècle !
“Hélas! c’est mon coeur que je crains.
Votre amitié dans mon sort s’intéresse;
Je vous ai fait conduire avec moi dans ces lieux.
Au reste des mortels je cache ma faiblesse;
Je n’en veux rougir qu’à vos yeux.
De mes plus doux regards Renaud sut se défendre:
Je ne pus engager ce coeur fier à se rendre;
Il m’échappa malgré mes soins.
Sous le nom du Dépit l’Amour vint me surprendre
Lorsque je m’en gardais le moins.
3 réflexions sur « François QUINAULT: Armide »
Après Armide de Gluck en 2022, ce sera le tour d’Armide de Lully en 2024 d’être à l’Opera Comique. Juste pour information! ^_^
Merci pour l’info! J’ai vu/entendu l’Armide de Lully à Dijon cette année (l’opera a été donné ensuite à Versailles) dans une mise en scène peu convaincante, mais l’orchestre, le chef et les chanteurs étaient éblouissants.
En effet je viens de voir que cette mise en scène n’était pas engageante (d’après Forum opéra) mais le reste TB. A Paris ce sera une autre distribution, sous la direction de Christophe Rousset. En 2022 j’avais raté le spectacle de Paris à cause d’une bête histoire de SNCF.