Virginia WOOLF: Lundi ou Mardi

Virginia WOOLF: Lundi ou Mardi

Un couple de fantômes qui se retrouvent dans la maison où ils se sont aimés ; un groupe de jeunes femmes parties enquêter dans le monde pour savoir si les œuvres produites par les hommes sont à la hauteur de l’adage qui veut que les femmes mettent des enfants au monde et les hommes des œuvres de l’esprit ; une tranche de jour ;  la rencontre d’une femme dans un compartiment de train, et le roman qui s’échafaude dans l’esprit de la narratrice ; un concert ; une combinaison de deux couleurs, bleu et vert, éclatant et se racontant sur la page ; la déambulation des couples qui vont et viennent dans les allées de Kew Gardens ; le motif d’une tâche sur le mur – en huit récits, dans Lundi ou Mardi, Virginia Woolf invente la nouvelle moderne. Des récits courts, faisant signe du côté du poème en prose, où se bâtit pour l’auteure une nouvelle façon de raconter, et pour le lecteur une façon nouvelle de lire, de s’entendre raconter des histoires, ou plus simplement encore le jaillissement de la vie…

Lundi ou Mardi est un petit volume de huit nouvelles, paru en avril 1921, décoré de gravures sur bois de Vanessa Bell, la sœur de Virginia Woolf. Un livre-artiste et un livre d’artiste conçu par Virginia Woolf sur les presses de la maison d’édition qu’elle dirige avec son mari Leonard Woolf. Huit textes divers dans leur manière: « Une maison hantée » – « Une société » – « Lundi ou Mardi » – « Un roman à écrire » – « Le Quatuor à cordes » – « Bleu et vert » – « Kew Gardens » – « La Marque sur le mur ». C’est que Lundi ou Mardi a d’abord été une sorte de laboratoire littéraire. Après deux premiers romans de facture relativement classique, La Traversée des apparences et  Nuit et jour, Virginia Woolf qui, au moins depuis son article sur  Le Roman moderne (1919), réfléchit à la nécessité d’inventer une nouvelle forme, travaille à des récits courts, des nouvelles, réunis justement dans ce recueil de Lundi ou Mardi. Beaucoup y voient la préparation des grands romans à venir, en particulier des deux suivants, La Chambre de Jacob et Mrs Dalloway, que Virginia Woolf a pensés elle-même comme une extension du procédé découvert dans certain de ces récits. C’est l’impression première qui ressort de la lecture de ce recueil : des œuvres modernes (modernistes), même expérimentales, qui demandent souvent d’être lues deux (ou trois) fois si on veut en prendre toute la mesure.

Difficile cependant de raconter plus de ce recueil, tellement à partir de là l’effet de la lecture se confond justement avec le moment de cette lecture. Je crois qu’à partir de Lundi ou Mardi, Virginia Woolf invente une forme singulière, qui met au défi le commentateur. Dans Le Quatuor à cordes par exemple, nous nous trouvons d’emblée devant un grand mouvement de foule (« Voilà, nous y sommes, et il suffit d’un coup d’œil sur la salle… »), un désordre de personnages et de paroles ou d’interpellations, menaçant dès le départ la possibilité représentative de la fiction (« et si, alors que je veux relater tous les faits, ce sont chapeaux, boas de fourrure, queues-de-pie et épingles de cravate en perle qui font surface – y a-t-il la moindre chance ? ») ; puis la voix de la narratrice se situe : c’est une femme, assise dans cette salle (« moi qui suis comme elles assise passivement sur une chaise dorée… »), une intériorité vécue (« assise… à retourner la terre sur un souvenir enfoui »), un des dizaines d’éclats de cette intériorité individuelle, qui se découvre, dans l’exercice d’une attente commune, comparable à tous les autres (« car, si je ne m’abuse, on voit bien à certains indices que nous sommes tous plongés dans le souvenir ») – jusqu’à ce que le quatuor paraisse (« quatre silhouettes noires portant des instruments, et qui s’installent devant des carrés blancs sous les flots de lumière torrentiels »). Place à la musique ! Puis, le concert fini, chacun reprend ses discussions, chacun se lève, la foule sort, se disperse.

On trouvera encore de très belles choses dans Kew Gardens ou dans Un roman à écrire qui sont sans doute mes préférés. Mais vous l’aurez compris : ces textes ne se présentent pas ; ils ne se racontent pas. Ils se lisent ! Une lecture que je ne peux que vivement conseiller aux amoureux de Virgina Woolf (et aux autres), pour ce premier billet de mon mois anglais.

Publié dans le cadre du mois anglais, saison 3 de Lou, Titine et Cryssilda

et du Challenge Virginia Woolf de Lou

 

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Challenge Virginia Woolf

6 réflexions sur « Virginia WOOLF: Lundi ou Mardi »

  1. J’ai vraiment beaucoup aimé Kew Gardens dans ce recueil. Et tu en parles vraiment très bien, tu exprimes mieux que moi ce que Virginia a voulu faire passer aux lecteurs.

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