Henning MANKELL: La lionne blanche (Wallander, 3)
En Scanie, le corps de Louise Åkerblom, jeune agent immobilier et mère de famille, est retrouvé dans une puits, après plusieurs jours de recherche. Les traces sur son corps orientent les enquêteurs vers une possible exécution sommaire. Aucun autre signe d’agression. Qui donc a pu tuer Louise Akerblom? La jeune femme se serait-elle simplement retrouvée au mauvais moment, au mauvais endroit? Pourtant qui peut avoir suffisamment de sang froid et de brutalité, pour abattre une femme seule, sans motif réel, dans la paisible campagne du sud de la Suède, groggy de cette nouvelle découverte macabre?
Je poursuis avec délectation ma découverte (tardive) des romans de Mankell. Et plus j’avance, plus je suis convaincu par cette série. Ce troisième volet des enquêtes du commissaire Wallander est un volume épatant, sans doute un moment important dans la série, pour la trame narrative d’abord, mais aussi pour l’épaisseur psychologique qu’y acquiert le personnage de Wallander, définitivement chassé ici du paradis provincial scandinave. Il faut dire que, dans la tradition des héros de romans policiers maltraités par l’existence, tout lui tombe dessus: d »abord (cela n’a rien à voir avec l’enquête), son appartement est cambriolé, vidé méticuleusement de toute sa collection de cds (on trouve des voleurs bien mélomanes en Suède!); il souffre de plus en plus de la solitude, rumine en secret le rêve de retrouver la belle lettone dont il est tombé amoureux dans le volume précédent, mais commet l’impair de l’appeler ivre en pleine nuit pour lui déclarer sa flamme; il renoue avec sa fille, avec laquelle ses relations restaient difficiles depuis le divorce d’avec sa femme, mais voilà que sa fille est enlevée; et un insupportable tueur, ex-agent du KGB, en reconversion auprès des services d’Afrique du sud hostiles à la fin de l’Apartheid, veut à tout prix mettre un terme à sa vie. On serait déboussolé pour moins que cela, surtout lorsque, comme Wallander, on aspire à l’existence confortable d’un suédois moyen, vivant dans un endroit tranquille.
La trame de ce roman de Mankell reste évidemment ici la même que dans ses précédents romans: la rencontre entre les bouleversements rapides du monde, la montée d’une forme nouvelle de violence, des organisations criminelles dont l’action s’internationalise, la « mise sur le marché » des anciens agents des renseignement et de la police politique des ex-pays de l’Est sonne-t-elle la fin du modèle suédois? Y a-t-il encore une place dans ce monde pour la naïveté et l’aspiration à un mode de vie sans complication? Et surtout: dans un monde qui se globalise, quelle place reste-t-il à la province, c’est-à-dire à ce rêve d’un mode de vie simple, à l’écart de l’agitation du monde?
Une jeune suédoise qui s’égare et est exécutée froidement devant la maison où elle demande son chemin; un tueur à gage africain venu se préparer en Suède; un ancien cadre du KGB; une conjuration d’afrikaners, dans le Transvaal, jaloux des droits qu’ils ont acquis contre la majorité noire de leur pays; une enquête à plusieurs niveaux, en Scanie, à Stockholm, en Afrique du Sud; des policiers et des espions. C’est un véritable puzzle que construit Henning Mankell dans cette lionne blanche. Un puzzle, dont l’enjeu est moins de produire des énigmes, dans la veine traditionnelle du roman policier à énigme, que de susciter les réactions de Wallander. Fatigué, débordé, le policier peine longtemps à comprendre les tenants et les aboutissants d’une affaire dont il ressent confusément que l’essentiel lui échappe. Très vite, en effet, le lecteur, informé du volet africain de l’affaire (la préparation d’un attentat contre Nelson Mandela, pour faire échouer la politique de réforme du président De Klerk), en sait plus que l’enquêteur. Cette façon de nouer l’intrigue est nécessaire bien sûr au propos de Mankell qui se présente dans ce roman, plus que dans le précédent encore, comme une sorte de reporter des changements du monde dans la dernière décennie du vingtième siècle. Elle est nécessaire aussi à l’évolution du personnage de son commissaire qui littéralement « pète les plombs ».
Bref, j’ai hâte de lire la suite, et si ce mois-ci sur les blogs n’était pas américain et halloweenesque, je crois que j’y serais déjà. Mais place d’abord à quelques fantômes …
6 réflexions sur « Henning MANKELL: La lionne blanche (Wallander, 3) »
J’ai abandonné celui-là, me semble-t-il, mais je compte bien reprendre la série dès que j’ai du temps… J’aime beaucoup ces polars nordique ( j’ai regardé la série Ericka et il faudra que je me
pense sur les romans)
@Maggie: si tous les polars nordiques sont aussi bons que cette série, je comprends l’engouement qu’ils suscitent en ce moment.
Comme Aifelle, je suis une inconditionnelle de Wallander; et j’aime la réflexion qui nous est livrée sur la société. A la limite, l’intrigue n’est pas ce qui est le plus important. Tu as raison de
le dire, on en sait plus que l’enquêteur.
@claudialucia: je suis en train de devenir une inconditionnel, moi aussi.
J’ai aimé aussi cette enquête-là, mais je les ai quasiment toutes aimées et puis le personnage de Wallander est tellement attachant que je l’aurais suivi n’importe où !
@Aifelle: j’ai hâte de découvrir la suite.