Jacques LACARRIERE: Chemin faisant
Au début des années 1970, Jacques Lacarrière entreprend un voyage à pied, 1000 km à travers la France, du nord au sud, de Saverne à Leucate, des Vosges jusqu’à la Méditerranée. Durant ce périple, qui dura presque quatre mois, l’écrivain raconte: les paysages, les rencontres fortuites, les amitiés d’une soirée, ou bien celles qui n’auront pas le temps d’exister, la recherche d’un abri, le soir, à l’étape, l’exploration d’un territoire.
On parlait moins de Jacques Lacarrière ces derniers temps, jusqu’à ce qu’un volume publié par Bouquins en janvier ne me donna le goût de me replonger dans cet auteur. Je n’ai toujours pas acheté le volume de Bouquins. Mais, en furetant dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé ce Chemin faisant, laissé au milieu de la lecture, il y a plus de quinze ans, mais dont j’avais gardé cependant un très bon souvenir.
En effet, Chemin faisant est un livre qui se lit un peu comme on marche (j’aimais beaucoup la marche il y a quinze ans – que j’ai remplacée depuis par le vélo). C’est comme une parenthèse, l’ouverture à une autre temporalité, une expérience même du récit un peu décalée, par rapport à ce qu’on attend habituellement d’une narration. Le meilleur de Lacarrière est dans ces moments de liberté que la condition d’écrivain itinérant donne au détour des plus belles pages à la méditation de l’écrivain: de belles rêveries sur les noms de lieux, des récits de rencontres, qui parfois se résument à un geste de la main ou quelques mots maugréés, des impressions collectées le long du chemin, des réflexions nées fortuitement des situations.
Pourtant, comme tous les livres qui, dans leur titre, mettent en scène la France (le récit de Lacarrière est sous-titré Mille kilomètre à travers la France), la question ne manque pas de se poser de cette France qu’aura traversé l’écrivain. Certes, la France de Lacarrière est une France datée, une France d’il y a quarante ans, déjà la France d’une autre époque: dans les campagnes, on trouve encore quelques attelages qui résistent à disparaître devant les tracteurs; et les inscriptions relevées en cours de route (ainsi ce “Ici commence l’Occitanie” aperçue quelque part dans le Massif Central) dénotent des préoccupations culturelles et politiques d’une autre époque. C’est parfois aussi une France égoïste, chauvine, pas toujours mal intentionnée à l’égard de celui qui passe, mais centrée sur soi, sur son petit lieu, son canton, sa commune, ce qui la rend souvent incapable de comprendre le point de vue de qui n’est pas soi, dès lors qu’elle ne peut pas le ranger dans une case. C’est une France à la fois diverse et continue, travaillée par les vieux découpages (la distinction des vieilles provinces: Bourbonnais, Gévaudan, etc., dit Lacarrière, est plus visible pour qui traverse la France en marchant que le découpage abstrait, plaqué des départements), une France modelée par de nouvelles ambitions (les campagnes se vident sous la pression de l’exode rural et dans la proximité des villes de nouveaux quartiers résidentiels apparaissent, avec leurs alignements caractéristiques de “villas”).
A un moment de ma lecture, je me suis dit qu’il serait intéressant de refaire le voyage de Jacques Laccarière, de mettre mes pas dans les siens, d’aller sonder ces paysages, ces territoires, de voir ce qu’il en est aujourd’hui. Il y a peu, Raymond Depardon a fait une expérience comparable, en camionnette, et pas à pied (le photographe n’a pas la liberté de l’écrivain, son appareillage le rend dépendant des moyens de transports modernes). Il en est sorti un très beau livre aussi: La France de Raymond Depardon, et un très beau film, Journal de France, cosigné avec Claudine Nougaret, sa compagne, qui fait le récit de cette expérience esthétique.
6 réflexions sur « Jacques LACARRIERE: Chemin faisant »
Vu le film de Depardon Profils de paysans qui se passe entre autres en Lozère dans la région de ma famille… J’aime beaucoup sa façon d’aborder les gens, leur vie quotidienne, en les apprivoisant.
Une expérience humaine, je trouve, plus qu’esthétique.
@ClaudiaLucia: ce que je trouve esthétique chez Depardon, c’est justement cette humilité avec laquelle il aborde son sujet. Preuve qu’il y a un art qui se façonne de la simple
représentation des hommes. J’aime beaucoup cela comme spectateur, car les oeuvres de Depardon sont des propositions, qui ouvrent à la contemplation ou à la réflexion. C’est ce que j’ai retrouvé
encore dans le livre de Lacarrière.
Exactement même remarque que Keisha ! 😉
C’est exactement le genre de récit que j’adore…
@Marie: alors, j’attends ta chronique?… ;o)
Mais comment se fait-il que je n’aie jamais lu ce livre? Etonnant.
@Keisha: je suis content de l’avoir rappelé à ton souvenir.