MARIVAUX: Le Triomphe de l’amour
Léonide, princesse de Sparte, a hérité du trône qui devait revenir à Agis. Afin de rétablir le jeune homme dans ses droits, elle cherche à s’introduire chez Hermocrate, un philosophe, qui a élevé Agis afin de le soustraire au péril qui, pense-t-il, ne manquerait pas de menacer le jeune homme au cas où son existence soit révélée. Mais Léonide poursuit encore un autre dessein : frappée par la « bonne mine » d’Agis, elle en est tombée amoureuse. Et c’est sous l’apparence de Phocion, un jeune homme, qu’elle va s’efforcer de gagner l’amitié d’Agis, afin par ce moyen détourné, de chercher à atteindre son cœur…
Deux jeunes filles, une riche princesse de Sparte et sa suivante, travesties en jeunes hommes. Un mensonge, une manipulation convertis en vérité par la puissance de l’amour. Des portraits qui paraissent à propos comme preuves objectives de la passion. La révélation de l’amour qui suffit à rendre fou d’amour ceux qui se croyaient protégés justement par leur bon sens et leur raison des désordres de l’amour. Les comédies de Marivaux disposent bien souvent de tout un attirail de situations et de dispositifs scéniques qu’on retrouve ordonnés différemment d’une pièce à l’autre. Il y a par exemple dans ce Triomphe de l’amour bien des éléments qui n’ont pas manqué de me faire penser à d’autres comédies de l’auteur, notamment aux Fausses confidences. Mais, en écrivain de l’amour, Marivaux sait bien que ce qui compte dans la narration de ce genre de choses tient plus à la façon dont on les ordonne qu’à l’originalité des situations. C’est donc comme une variation de plus sur le motif de la révélation de l’amour qui se nourrit des subterfuges de la séduction qu’il convient de lire cette œuvre. C’est en tout cas ce à quoi nous invite le personnage de Léonide, dans sa confession finale au protagoniste principal du drame : « C’est pour vous que j’ai trompé tout le monde, et je n’ai pu faire autrement ; tous mes artifices sont autant de témoignages de ma tendresse » (III, 9).
Semblable donc à d’autres comédies de Marivaux, l’action de ce Triomphe de l’amour tire cependant un peu plus vers la farce. La gradation du désir chez Agis, la lente et progressive révélation de l’amour n’est pas le sujet qui intéresse ici Marivaux. L’intrigue cependant reste d’une subtile complication. Pour approcher Agis, Léonide doit convaincre Hermocrate et sa sœur de sa sincérité. C’est l’occasion d’une double machination : à Hermocrate, qui a reconnu son travestissement, elle prétend être une jeune fille amoureuse du philosophe, venue chercher auprès de lui le moyen de combattre son amour ; à Léontine, elle se présente comme un jeune homme amoureux de sa maturité pleine de grâces – une machination destinée à lui faire gagner le temps nécessaire à des entretiens au cours desquels elle se fait fort de gagner le cœur du jeune homme. On ne manquera pas de reconnaître dans cette intrigue un coup de patte malicieux de Marivaux à l’adresse des sectateurs de la raison et d’une certaine philosophie dogmatique : pour Léonide, le seul moyen d’approcher Agis et de vaincre Hermocrate et sa sœur, pétris de prévention contre l’amour, est de les rendre amoureux. A la vérité du sentiment de distinguer, le moment venu, entre l’inspiration de l’amour vrai et les amours factices : entre l’amour sincère d’Agis et Léonide et les piperies d’amour dans quoi tombent Hermocrate et Léontine avec une troublante célérité.
Pourtant, bien qu’ils soient ridicules, Hermocrate et Léontine n’ont-ils pas aimé sincèrement l’espace d’un instant ? Cette folie qui leur fait tout lâcher – leur vertu, leur philosophie, leur raison – pour fuir en ville afin de s’y marier et s’engager avec témérité dans le bonheur qui se profile n’est-il pas l’une des manifestations véritables de l’amour ? Quelle différence d’inspiration entre Hermocrate et Léontine qui sont trompés dans leur attente du bonheur et Agis que Léonide trompe pour son bonheur ?
L’autre intérêt de cette comédie consiste dans le rôle joué par les valets, cupides, mais poltrons, qui, par intérêt, se mettent au service des desseins de Léonide : le valet Arlequin et le jardinier Dimas. Ils contribuent aussi à tirer la comédie du côté de la farce et à donner à la comédie ce ton de fête comique, à la fois subtile et désopilante, caractéristique du théâtre de Marivaux.
Publié dans le cadre du challenge Un classique par mois
6 réflexions sur « MARIVAUX: Le Triomphe de l’amour »
Oui… mais léger ne veut pas dire sans profondeur et encore moins frivole!
@Claudialucia: là je suis complètement d’accord avec toi.
Malicieux, comique, subtil (ô combien!)il est tout cela Marivaux. Mais il est aussi très souvent pessimiste. Les personnages portent toujours des masques, le mensonge est un moyen d’aborder l’autre
et de le dominer, et même quand il sert la bonne cause (l’amour), il est malgré tout nécessaire de tromper, trahir et faire souffrir les autres… J’ai trop souvent entendu de la part de gens qui
le connaissant mal qu’il est léger! Et ça m’énerve!
@Claudialucia: je suis d’accord avec toi. Les masques, la tromperie, la souffrance. Mais Marivaux est léger également, même si ce n’est jamais par légèreté. Et son théâtre est
une fête de l’amour.
il faudrait que je le relise! Bonne journée!
@Eimelle: je te le souhaite.