Emile ZOLA: L’Argent

Emile ZOLA: L’Argent

Ruiné dans l’affaire de spéculation immobilière qui a fait sa fortune au début de l’Empire, Saccard brûle de retrouver sa place de spéculateur forcené. Se retournant vers la Bourse, il crée une puissante maison de crédit: la Banque universelle, une machine colossale qu’il conçoit pour mettre en branle et fédérer le développement de la Méditerranée et de l’Orient. Dans l’ambiance délétère de la fin du Second Empire, la promesse de l’argent facile, l’Europe rendue maître du monde par le progrès technique, l’obscur fantasme d’une banque chrétienne et les relents de l’antisémitisme vont faire un temps de Saccard le roi de ce conte des mille-et-une nuits financier…

 

Dix-huitième volume des Rougon-Macquart, et sixième étape de mon auto-challenge Zola, qui m’a fait revenir sur ma règle, de lire ou relire tous Les Rougon-Macquart, dans l’ordre, du premier au vingtième. Sans vouloir paraphraser Saccard, qui en fait le credo de son aventurisme financier, il est bon parfois de ne pas respecter les règles. Ce saut, brusquement, à la fin de la série, fait mesurer tout le chemin parcouru par Zola. Le style est changé. La documentation, affinée. La manière, plus imposante. C’est le Zola que j’avais aimé adolescent, quand je lisais Germinal ou Au Bonheur des dames, deux romans que j’ai hâte, pour cette raison, de retrouver bientôt.

 

La Curée, deuxième volume de l’ensemble, ne m’avait pas convaincu. Saccard déjà y tenait la vedette. L’Argent, c’est un peu comme les Cent-Jours de Saccard, au retour de l’île d’Elbe: un puissant désir de revanche, de montrer au monde de la finance où est le véritable maître de la place, dans un déploiement d’énergie, de vitalité féroce qui est comme le résumé des appétits désordonnés de l’Empire. Essor et décadence – sur ce canevas éprouvé du roman réaliste, et de tellement d’oeuvres de Zola lui-même, le romancier naturaliste produit d’abord un intéressant témoignage du monde de la Bourse, de la Finance, qui n’est pas sans actualité au regard de la récente crise du crédit. Réflexion intelligente sur l’argent, qui est à la fois bénédiction et malédiction, condition du progrès, du bonheur, de l’éducation, mais condamne la société à la surchauffe, aux inégalités, à tous les petits ou grands trafics, le roman trouve à replacer la question économique et sociale dans le contexte d’une histoire (celle du Second Empire finissant) en même temps qu’il nous livre une généalogie de l’époque moderne: ce sont ces appétits qui s’expriment encore, en même temps que la question du mode d’administration de la justice, de la juste répartition des revenus et des richesses, examiné au travers des réflexions du personnage de Sigismond, restent des questions actuelles.

 

Roman de la Bourse, de la Finance, de la publicité, L’Argent est le roman de toutes les spéculations: politiques, religieuses, littéraires, fantasmatiques surtout, qui s’expriment dans le rêve d’une banque chrétienne donnant au pape la souveraineté financière, au moment où l’Europe redéfinit ses frontières, dans tous les appétits aussi, en particulier sexuels, auquel Zola se complaît à donner une place, en narguant superbement la mauvaise critique qui avait vu en lui le peintre de l’ordure. Trônant là dessus, le personnage de Saccard n’est pas sans panache: c’est à la fois un aventurier odieux et un homme capable de grandeur, le symbole de la faillite d’une époque et, dans une certaine mesure, un double de l’écrivain qui, comme lui, spécule sur l’imagination des hommes.

 

En même temps, L’Argent est l’occasion pour Zola de s’engager dans le combat contre l’antisémitisme. Des années avant l’article célèbre de L’Aurore et sa défense du capitaine Dreyfuss, il signe ici une condamnation sans appel contre les fantasmes des antisémites, dont le roman est aussi un bon diagnostic. La multiplication des propos rapportés, des préjugés du monde de la finance où la vieille stigmatisation des juifs par les chrétiens trouve à se recycler dans les formes d’un discours moderne sur le pouvoir de la fortune, tout ce brouhaha est finalement réduit en pièce par l’attachante Caroline Hamelin, jeune femme sensible et cultivée, par le discours de qui Zola exprime la détestation du préjugé et l’amour de la vie. Car on n’attaque pas l’argent sans nuances. Zola sait montrer comment une certaine forme de critique de la fortune a pu servir de tremplin aux idées les plus abjectes.

 

C’est finalement un très bon roman, plein d’enseignements sur la question de l’argent, sur les fantasmes dont il se nourrit ou qu’il produit, donc une exploration en profondeur du double mécanisme, économique et fantasmatique, des sociétés contemporaines. C’est aussi un beau travail de romancier, sûr de sa manière, qui sait jouer avec les différents niveaux d’une intrigue pas si simple qu’elle paraît. Pour relever seulement quelques unes des trouvailles de l’écrivain: l’adroit premier chapitre nous promenant à la suite de Saccard dans le quartier de la Bourse; la figure extraordinaire de la princesse d’Orviedo, dilapidant magistralement sa fortune, au moyen de maisons de bienfaisance, véritables palais qu’elle offre aux pauvres; la reprise du motif du vaudeville de la Bourse, genre à l’honneur depuis les années 1830, mais avec une audace inimaginable (l’image de la baronne Sandorff surprise en train d’offrir une gâterie à Saccard en échange de quelques secrets de Bourse reste inoubliable!).

 

3 réflexions sur « Emile ZOLA: L’Argent »

  1. Je suis en train de finir l’Argent ! Ce que j’aime chez Zola c’est qu’en tant que pape du naturalisme, dans chacun de ses romans, il y a un organisme qui régule tout dans l’ombre ( c’est souvent
    celui qui prête son nom au titre du roman )Et là, telle la mer, la bourse, l’Argent à des flux et des reflux sombres que l’ont ne peut prvenir, marées mortes et é,quinoxes financiers se succédant.

  2. Je l’avais lu dans mes jeunes années, pendant mes études, mais je ne m’en souvenais que vaguement … C’est sans doute l’un des meilleurs de la série des Rougon-Macquart de Zola (c’est mon avis personnel et qui n’engage que moi !). Je le relirai très certainement, de même que “Paris”, “La curée” ou “Pot-Bouille” que j’ai prévu depuis longtemps !

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