Andrzej BOBKOWSKI: Douce France

Publié par Cléanthe le

Juin 1940. Tandis que l’armée allemande enfonce les lignes françaises et que les réfugiés descendent vers le Sud, un jeune Polonais, Andrzej Bobkowski, prend la route, afin de rejoindre son entreprise rapatriée dans la région de Carcassonne. Après l’armistice, il choisit de regagner Paris pour retrouver sa femme Barbara… mais pas par le chemin le plus court. À la force des mollets, il contourne la Méditerranée, remonte les Alpes, traverse des villages encore étourdis par la débâcle. Ce journal de voyage, tenu au fil des jours, devient bien plus qu’un simple carnet de route : c’est un témoignage sur une France en plein effondrement, où les mythes se défont, mais où la vie, les rencontres et la beauté des paysages demeurent intacts…

Je dois confesser que j’ai choisi initialement le thème de ce mois-ci du challenge Escapades en Europe, «À pied, à cheval, en voiture ou en train – Récits de voyages en Europe», avec en vue deux livres bien précis: Aux frontières de l’Europe de Paolo Rumiz et Douce France d’Andrzej Bobkowski. C’est finalement sur le deuxième que s’est porté mon choix. Mais j’aurais bien lu l’un et l’autre pour cette occasion, si d’autres lectures ne s’étaient pas interposées.

Andrzej Bobkowski (1913-1961) est un auteur que je découvre avec cette lecture, mais son livre me tentait depuis déjà bien longtemps. Né à Vienne dans une famille polonaise, il a grandi à Cracovie. Arrivé en France à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il y vivra l’Occupation avant d’émigrer au Guatemala en 1948, où il se spécialisera dans la fabrication de modèles réduits. Pendant la guerre, Bobkowski se met à l’écriture et rédige des cahiers qui seront publiés pour la première fois en 1946 en polonais, témoignage précieux sur les années d’Occupation, avec ce mélange de clairvoyance et de douce ironie caractéristiques de son style: Esquisses à la plume (Szkice piórkiem), traduit en français sous le titre de En guerre et en paix: Journal 1940-1944. Libretto a eu la bonne idée de publier à part les cahiers rédigés en 1940, correspondant à la débâcle et à l’armistice, et à la surprenante équipée cycliste entreprise par l’auteur: Douce France est le journal de ce voyage.

Car il s’agit bien d’un voyage! Un voyage à bicyclette, à contretemps et à contre-courant, sur des routes secondaires, à travers un pays meurtri mais encore vibrant. C’est un itinéraire qui nous emmène, non pas par les grandes routes (Bobkowski, qui possède un passeport polonais, craint les réactions du Régime de Vichy, dont il comprend tout de suite qu’il est acquis à l’occupant nazi), mais par les chemins de traverse – et c’est là le plus étonnant de ce récit de voyage: au cœur de la débâcle, Bobkowski prend le temps de s’arrêter, de parler, de respirer, de jouir de la douceur d’une France qu’il aime, mais qu’il sait bien en train de disparaître.

Émigré amoureux de liberté, Bobkowski se méfie des idéologies et préfère à tout discours les gestes simples, l’amitié et la curiosité pour l’autre. Ce mélange d’attention au réel et d’indépendance d’esprit donne au livre une fraîcheur rare : la guerre est là, mais elle ne fait pas taire l’envie de vivre. Une très belle découverte que ce livre qui me donne envie de poursuivre la découverte des Szkice piórkiem de Bobkowski!


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Escapades en Europe – août 25: À pied, à cheval, en voiture ou en train – Récits de voyages en Europe



Les autres participants:

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12 commentaires

keisha · 15 août 2025 à 15 h 58 min

Mes biblis principales ignorent carrément l’auteur! Grâce au RV j’ai enfin sorti de ma PAL Paolo Rumiz; sinon, j’ai retrouvé sur mon blog des lectures avec des voyages en Europe, En France d’Eugenio Montale, et L’italie à vélocipède de Joseph et Elisabeth Pennell, deux livres charmants. Lectures bien sûr anciennes, juste pour info.

    Cléanthe · 17 août 2025 à 9 h 40 min

    Merci pour tous ces liens. Je vais aller jeter un coup d’œil à tes billets.

tadloiducine · 15 août 2025 à 19 h 08 min

Ce que j’ai à l’esprit (jolie phrase, au fait, pour demander de rédiger un commentaire)? Hé bien, des « esprits » plus chagrins que le mien pourraient trouver, justement, que la « consigne du mois » n’évoquait ni vélo, ni bicyclette, ni VTC, ni VTT… Mais bon, considérons que les moyens de transports pouvaient comporter des « points de suspension » (personne n’a donc choisi de parler du déplacement en canoë-kayak, en péniche ou en ULM?).
Plus sérieusement: je découvre cet auteur grâce à ton billet (même si la couv’ était bien présente dans le logo il y a des mois!). En regardant la biographie d’Andrzej Bobkowski (1913-1961) sur Wikip’ et en suivant quelques liens, j’en ai surtout appris davantage sur l’armée polonaise reconstituée en France après la chute de la Pologne, avec le même mécanisme de soutien par la France à leur gouvernement en exil que celui qu’a connu ensuite la France libre à Londres avec le soutien des Britanniques. En tout cas, tu m’as surtout donné envie de lire ce livre, qui fait vraiment écho à mon propre choix pour ce mois… sans que je l’aie prévu!
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    Cléanthe · 17 août 2025 à 9 h 42 min

    Les « points de suspension » étaient bien sûr sous-entendus. En voyage, on doit parfois composer avec les moyens de transport du coin. 😉

Aifelle · 16 août 2025 à 5 h 54 min

Un auteur dont je n’ai jamais entendu parler ; ce périple en vélo à un moment aussi crucial doit être très intéressant ; je le note.

    Cléanthe · 17 août 2025 à 9 h 43 min

    C’est un texte passionnant, dont l’intérêt va bien au-dela du voyage à vélo, et qui permet de prendre la mesure d’une époque, du moment de bouleversement brutal qu’a représenté l’armistice de 1940.

je lis je blogue · 17 août 2025 à 8 h 55 min

Comme Tadloiduciné, tu nous fait découvrir un ouvrage original. Je note le nom de l’auteur.

    Cléanthe · 17 août 2025 à 9 h 44 min

    J’ai découvert pour l’occasion un livre vraiment passionnant. Un vrai coup de cœur.

nathalie · 23 août 2025 à 16 h 39 min

Je fais aussi partie de ceux qui avaient envisagé de lire Rumiz, Aux frontières de l’Europe, et qui ont préféré un voyage en France (on est pantouflard). Mais je te remercie d’avoir changé car je ne connaissais pas cet auteur, dont je note précieusement le nom.

    Cléanthe · 25 août 2025 à 6 h 14 min

    Rumiz était un peu la star de cette escapade, à ce que je vois!

claudialucia · 5 septembre 2025 à 8 h 37 min

Un auteur que je ne connais pas et qui paraît intéressant !

    Cléanthe · 8 septembre 2025 à 14 h 07 min

    C’est un livre passionnant. Je pense continuer avec la suite de son journal de la guerre.

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