Jirô TANIGUCHI / Natsuo SEKIKAWA: Au temps de Botchan (Livre1)

Publié par Cléanthe le

Tokyo, novembre 1905. Sur la véranda ouverte sur le jardin, un homme est assis au soleil. Il se coupe les ongles, un chaton noir trottine entre ses jambes, le souffle de l’automne caresse ses vêtements. Rien de spectaculaire, juste un instant suspendu. Et pourtant, derrière cette quiétude, il y a un écrivain revenu d’un long séjour en Angleterre, un intellectuel à la fois fasciné et fatigué par l’Occident, un observateur acéré de son époque : NATSUME Sōseki. Il est sur le point de se lancer dans l’écriture de Botchan, roman qui deviendra l’un des classiques les plus lus au Japon...

Au temps de Botchan est un manga réuni en 5 volumes, scénarisé par Natsuo Sekikawa et magnifiquement dessiné par Jirō Taniguchi, que j’avais placé depuis longtemps sur ma liste de livres à lire. Sa réédition chez Casterman, dans le sens de lecture original, a été l’occasion qui me manquait. Je ne regrette pas de m’être enfin lancé.

Ce premier volume nous plonge au cœur du Japon de l’ère Meiji, juste après la victoire sur la Russie, au sortir de la guerre russo-polonaise de 1904-1905. Le Japon est alors un pays en pleine mutation, qui aspire à entrer dans le concert des grandes puissances internationales et connaît de profonds bouleversements: rupture avec son isolement séculaire, modernisation industrielle, adoption des codes occidentaux, interrogation profonde sur ce que signifie « être japonais » dans un monde qui change à grande vitesse – autant de manifestations de cette mutation profonde. En faisant de la fin de l’ère Meiji, vue du point de vue de ses grands écrivains et des mouvements intellectuels qui animent alors le Japon, le propos de leur manga, Taniguchi et Sekikawa ont trouvé à construire un récit d’une grande force narrative, alternant la fresque historique et l’intimité d’un portrait. On y croise des écrivains, des journalistes, des figures de l’époque… difficile de résister à toutes les suggestions de lecture croisées au fil des pages (celles de ce blog risquent d’ailleurs de se remplir les prochains mois de titres glanés au gré de ce manga!).

Mais c’est avant tout Sōseki, l’un des plus grands écrivains japonais du début du XXè siècle qui, dans ce premier volume, occupe le premier plan: ses silences, ses doutes, sa difficulté à trouver sa place dans cette société en recomposition. Taniguchi excelle à traduire cette intériorité: chaque planche respire, chaque silence pèse, chaque geste a sa lenteur mesurée. On sent la lumière douce sur les façades, la texture des tatamis, le rythme feutré d’un Japon encore hésitant entre tradition et modernité.

Au temps de Botchan n’est pas cependant qu’une biographie romancée : c’est aussi une réflexion sur la littérature et sur la manière dont elle se nourrit du monde. En arrière-plan, le lecteur devine que l’histoire intime de Sōseki et l’histoire collective du Japon se répondent, que Botchan sera à la fois un livre sur un temps qui s’achève et sur un pays en quête de son visage futur.

Je ressors enchanté de ce premier tome, qui peut se lire comme un tout – c’est aussi tout l’intérêt de cette série. Je ne sais pas encore dans quelle direction ira la suite, mais ce premier volume constitue un début en douceur, contemplatif, presque méditatif. Certes, il faut accepter son rythme, se laisser porter par ses dialogues calmes, par ses paysages urbains ou ruraux, par cette manière qu’a Taniguchi de peindre la lumière comme une matière. Un beau dialogue dessiné entre l’art, l’histoire et l’intime! Personnellement, j’adore. J’ai d’ailleurs déjà commandé Botchan, le roman de  Sōseki!



2 commentaires

tadloiducine · 12 août 2025 à 21 h 26 min

Je ne savais pas que la BD de Taniguchi (que je n’ai pas lue) était dérivée d’un roman…
Le thème de ce Botchan me ferait un peu songer au Naïf aux quarante enfants de Paul Guth?
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

keisha · 13 août 2025 à 5 h 50 min

Fan de Taniguchi j’ai lu il y a longtemps ce Temps de Botchan, mais ce n’était sûrement pas le bon moment, je n’ai pas tout saisi, donc : il faut le relire!
Entre temps j’ai lu des écrits de Soseki, donc Botchan justement, et ai noté d’autres titres sur un autre blog, comme A travers la vitre et Choses dont je me souviens. Sinon je recommande aussi Je suis un chat et ses Haikus!

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