Alphonse de LAMARTINE: Méditations poétiques
Que reste-t-il aujourd’hui de Lamartine? Quelques poèmes dont les vers appris en classe continuent à résonner dans l’esprit de certains, le souvenir peut-être d’un destin politique énergique, mais malheureux au moment de la révolution de 1848, un château que l’on visite dans les environs de Mâcon… Et pourtant, les Méditations poétiques, recueil précoce du Romantisme français, méritent plus qu’un simple regard curieux. Dès les premières pages des Méditations poétiques, le lecteur est saisi par la variété des accents et des tableaux: Le Lac, sans doute le plus célèbre des poèmes du recueil, où le souvenir d’un amour perdu se mêle au rythme des flots; L’Isolement, où le poète contemple la nature et interroge sa propre solitude; L’Automne, qui déroule une élégie douce sur le temps qui s’enfuit; ou encore L’Homme, où s’esquisse un vertige métaphysique devant l’infini. À travers ces poèmes et quelques autres — Le Vallon, Le Souvenir, Le Temple, Hymne au Soleil…— Lamartine trace une sorte de géographie de l’âme, où les émotions individuelles deviennent presque universelles, où le cœur se dit, se lit et se vit paysage…
C’est avec les Méditations poétiques, publiées en 1820, que Lamartine entre d’un coup dans l’histoire littéraire. Ce recueil n’a rien d’une entrée timide : il installe d’emblée une voix, une musique, une manière de sentir et d’écrire qui marquera tout le XIXe siècle. On comprend que ce recueil ait tant plus, tellement il renouvelait l’expression de la sensibilité. A une poésie souvent retenue par les règles classiques, Lamartine opposait dans ses Méditations une parole plus personnelle, plus sensible. Il parlait en son nom, ou plutôt, il laissait parler ses émotions : la mélancolie, le souvenir, le vertige du temps qui passe, l’éblouissement de la nature. Vraiment, Lamartine mérite mieux que sa réputation contemporaine de poète bavard, égotiste, plaintif, voire facile ou daté. J’avoue au contraire avoir été sensible à cette poésie, tout en nuances et variations, comme certains Nocturnes ou Préludes qu’on rencontre en musique.
On y croise, bien sûr, les grands thèmes du romantisme naissant : la fuite du temps (Le Lac), la douleur de l’absence (L’Isolement), l’aspiration à l’infini (L’Immortalité), la communion avec le monde naturel (L’Automne). Lamartine ouvre des paysages sensibles, où les sentiments trouvent un écho dans le frémissement de l’eau, les ciels d’orage ou les montagnes silencieuses.
Mais la force des Méditations vient aussi de leur simplicité. La langue fluide, portée par un rythme ample et souple sert la parole d’un homme qui écrit moins pour démontrer que pour confier — et c’est sans doute ce qui a touché tant de lecteurs à l’époque, même si on lui a reproché par la suite une langue trop facile, insuffisamment polie, travaillée. Assurément, Lamartine n’est pas Mallarmé. Autre poésie, autre époque. Avec Lamartine, le je lyrique trouve sa pleine place, une expression que je préfère par exemple à celle d’un Victor Hugo, que je trouve toujours affecté et dans une certaine mesure insincère, même si, comme chez Hugo justement, la poésie de Lamartine se situe au carrefour de l’expérience intime et du partage universel. En ce sens, les Méditations poétiques ne sont pas seulement le premier grand recueil romantique français : elles inaugurent une façon neuve de faire de la poésie une affaire de cœur et de vertige, où chacun peut se reconnaître.
« Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : » Nulle part le bonheur ne m’attend. «Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire ;
Je ne demande rien à l’immense univers.Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;
Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !Que ne puîs-je, porté sur le char de l’Aurore,
Vague objet de mes voeux, m’élancer jusqu’à toi !
Sur la terre d’exil pourquoi resté-je encore ?
Il n’est rien de commun entre la terre et moi.Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ! »Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques (1820), « L’isolement »
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