Ivan TOURGUÉNIEV: Les Trois portraits
Un soir, après la chasse, le regard des invités de Pierre Fiodorovitch se tourne vers trois portraits: celui d’une jeune femme, et ceux de deux hommes, qui l’encadrent, dont l’un percé au niveau du cœur. Que font ici ces trois portraits? Quelle est l’histoire de ces trois personnages, dont le vêtement, la coiffure accusent des manières du XVIIIème siècle? Dans la bonne humeur des conversations qui font suite à une journée passée au grand air, Pierre Fiodorovitch invite ses compagnons à le suivre dans le récit de sa chronique familiale…
Deuxième des récits en prose de Tourguéniev, Les trois portraits a paru en 1846, à côté d’autres nouvelles de différents auteurs, dans le Recueil pétersbourgeois, une sorte de manifeste de l’école réaliste. Au côté de Dostoïevski, de Herzen, de Nékrassov, Tourguéniev s’affirme d’emblée comme un tenant de la nouvelle école littéraire qui, dans la lignée de Gogol, entendait doter la Russie d’une littérature aux accents plus modernes. C’est ce qui donne à la nouvelle de Tourguéniev ce tour appuyé de récit campagnard, ce ton particulier de chronique familiale, qui fait le charme des premiers récits de l’écrivain. Dans le cadre cossu d’une demeure campagnarde où de nobles propriétaires s’adonnent au divertissement de la chasse, l’histoire d’Olga Ivanovna, fille adoptive d’Ivan Loutchinov, et de Rogatchev (les trois portraits), à qui on l’a promise, permet de jeter un regard, en dilettante, sur les manières, un brin brutales, de la vieille Russie et l’immoralité de la noblesse.
Au centre du récit, en effet, le personnage de Basile, une sorte de coquin, corrompu. Rentré une première fois chez lui pour tâcher d’y voler son père, avec l’aide du fidèle intendant de la famille, c’est un corrupteur, un séducteur, qui n’a de cesse de faire tomber sous son charme la jeune et gracieuse Olga Ivaznovna, lors d’un deuxième séjour, à quoi le condamne ses manières dissolues et un duel qui a mal tourné, à Pétersbourg. Son immoralité, son égoïsme, le goût immodéré de ses plaisirs renverse l’image du “bon vieux temps”. Ils offrent un portrait cru, réaliste, des défauts de l’ancienne Russie.
Bien sûr, Tourguéniev en reste là, n’en appelle pas encore explicitement à des réformes. Cependant, avec ce ton nouveau en littérature, un air est en train de naître, une air qui va s’amplifier dans les récits à venir: Un Bretteur, Le Juif, et surtout les Mémoires d’un chasseur, dont le portrait charmant, mais sans concessions, de la campagne russe, parlera de la condition des serfs d’une manière qui ne manquera d’attirer l’ire des conservateurs contre l’écrivain, désormais célèbre.
2 réflexions sur « Ivan TOURGUÉNIEV: Les Trois portraits »
Je vois que tu es toi aussi dans la littérature russe! Et avec Tourgueniev dont je ne connais que Premier amour! C’est peu, oui, je sais. Y remédier! je note!
Oui, cela vaut vraiment le coup d’aller au delà de Premier amour. Tourguéniev est un grand auteur, une sorte de Maupassant russe. D’ailleurs, je prends tellement plaisir à lire ses nouvelles que je peine à tenir à jour mes billets !