Graham GREENE: La saison des pluies
Architecte mondialement renommé, Querry a tout quitté. Un jour, il débarque, au fin fond de l’Afrique centrale, dans la léproserie du docteur Colin. Parce que c’est l’endroit le plus éloigné sur sa route, que les navires ne mènent pas plus loin. En compagnie des pères jésuites, du docteur Colin, sa vie s’organise. Des tournées en camion jusqu’à Luc, la ville à trois jours de route de là. Les plans d’un nouvel hôpital. Pourtant dans la société des colons déjà la rumeur monte, entretenue par Rycker, un industriel local, obsédé par la grâce et marié à un femme bien trop jeune pour lui. Bientôt un journaliste fait irruption. Comment expliquer la présence ici du prestigieux architecte parmi les prêtres et les lépreux ? Dénuement ? Sainteté ? Querry pourra-t-il échapper à sa légende ?
Artiste fêté pour ses réalisations d’édifices religieux, séducteur invétéré, Querry est revenu de tout. De l’amour de Dieu, de son métier, des femmes. Quand il échoue dans ce coin désolé du Congo où le docteur Colin a installé son dispensaire, c’est un homme moralement mutilé. Pourtant Querry finit par trouver là à reconstruire une existence, une vie à l’image des anciens lépreux, malgré la mutilation. Mais c’est compter sans la communauté des colons ou le père Thomas qui cherchent à s’accaparer son parcours. A plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe, au fin fond de l’Afrique sauvage, celle des romans coloniaux, des histoires du bon docteur Schweitzer, c’est toujours la même mécanique sociale : celle de la peur de l’autre – le lépreux qu’on n’ose pas toucher – et la rumeur – celle d’un Querry venu expier en Afrique un chagrin amoureux et y trouver la sainteté. La logique chrétienne est une logique totalitaire : sous les yeux de cette petite société, Querry qui s’affirme athée voit sans cesse sa conduite réinterprétée dans le sens de la foi par des croyants qui n’imaginent pas qu’on puisse sortir de l’Église.
De Graham Greene, j’avais déjà fort apprécié Un américain bien tranquille ou le Rocher de Brighton, qu’on classe traditionnellement dans son œuvre dite de « divertissement ». Mais cette Saison des pluies est sans conteste l’un des plus grands romans que j’ai pu lire au cours de ces dernières années. L’opposition des hommes et leurs conversations métaphysiques trouvent un relief particulier dans ce coin de l’Afrique centrale au temps de la domination belge dont les paysages et l’organisation coloniale sont peints avec une grande sûreté et une belle économie de moyens. « Qu’importe ces petits détails », réplique le père Thomas à Querry qui s’étonne des nombreuses erreurs contenues dans l’article que le journaliste Parkinson a consacré à l’architecte. C’est au contraire dans le détail que consiste l’art de Graham Greene. Romancier aux ambitions métaphysiques, peut-être religieuses – on le disait écrivain catholique, raccourci qui ne le satisfaisait pas – l’auteur est aussi un miniaturiste : la présence sourde et sombre de la forêt autour de la léproserie, l’ « esprit colon » croqué en quelques pages, le personnage de Rycker ou le père Thomas, âmes tourmentées qui croient trouver pour l’un dans un mariage chrétien et la lecture des livres saints, pour l’autre dans le jeûne une réponse à leurs tourments, certains portraits ou descriptions qui sont comme des vignettes, tout cela donne au roman cette atmosphère si particulière des récits de Greene qui ici touche véritablement au génie. Doublée d’une réflexion sur la fiction et sur l’art du roman, jamais artificielle puisqu’elle a pour objet le « roman » que sur le modèle d’Au cœur des ténèbres certains sont en train de faire de Querry en une sorte de saint moderne au terme d’un parcours de déchéance, la réflexion de Greene sur la religion n’est pas sans rappeler non plus certains passages de Bernanos ou de Mauriac et cette façon si particulière d’appréhender le besoin d’absolu, le besoin d’une cause qui seule tient les hommes en vie à partir de l’expérience d’un personnage qui a perdu la foi.
2 réflexions sur « Graham GREENE: La saison des pluies »
Greene est vraiment une mine. Moi j’ai une préférence peut-être pour Le fond du problème ou Notre agent à La Havane.
@Eeguab: oui, Greene est vraiment un très grand auteur, et d’autant plus intéressant qu’on trouve de tout sous sa plume: du roman policier/d’espionnage au roman à thèse plus
ambitieux.