Gottfried Wilhelm LEIBNIZ: Discours de métaphysique

Gottfried Wilhelm LEIBNIZ: Discours de métaphysique

Le Discours de métaphysique, remarque Christiane Frémont, l’une des éminentes spécialistes de Leibniz: «est structuré comme une création: on y assiste à la construction du monde.». Cet essai, le premier en forme du système leibnizien, touche un enjeu principal, qui tient dans la question de la nécessité: pourquoi fallait-il que Dieu agisse comme il l’a fait en créant ce monde? Pour répondre à cette question, Leibniz va convoquer trois figures: Alexandre, César et Judas. Car l’urgence de la question peut être comprise en un triple sens. Logique d’abord: Dieu prévoit tout, y compris ce que seront les conquêtes d’Alexandre; de l’idée de perfection divine, Leibniz dégage donc l’idée d’un être dont la notion enveloppe tous les prédicats. C’est ce que Leibniz appelle dans le Discours la notion individuelle du sujet, qui peut rendre raison de tout ce qui lui arrivera, c’est-à-dire dans laquelle les événements, à la manière de la notion individuelle d’Alexandre, sont contenus comme des prédicats. De la logique, on glisse aisément à la métaphysique: car si Dieu voit tout ce qui arrivera à César, cela ne signifie-t-il pas que tout ce qui lui arrive est nécessaire, et qu’il faille renoncer donc à l’idée même de liberté? Sans doute pas, si on prend garde à distinguer ce qui est certain (donc prédictible) et ce qui est nécessaire (qui ne pourrait pas ne pas exister). Avec cette distinction, Leibniz trouve donc le moyen de sauver l’idée de contingence, même si c’est au prix de circonvolutions qui ne convaincront pas tout le monde. Le mot de Kant parlant de la théorie leibnizienne est resté célèbre: «la liberté du tourne-broche»!. Enfin, il y a une question morale: il faudra expliquer aussi que Judas est bien responsable de son crime, et non pas Dieu, quand bien même celui-ci a choisi un monde dans lequel il y a un Judas.

Méditation sur la formule «Dieu agit de la manière la plus parfaite», que vous trouverez à la première page, le Discours est un effort pour produire une métaphysique qui sauve à la fois la foi et justifie la science. L’apport principal est de produire une théorie nouvelle du monde, fondée sur la notion de représentation: il faut que la perfection divine soit lisible dans sa création, que les créatures s’accordent entre elles en un tout qu’on nommera l’harmonie du monde, que Dieu même n’agisse pas hors d’ordre. D’où les métaphores de l’ouvrier, de l’architecte, qui abondent dans ce texte. Et aussi celles de la perspective, du point de vue.

Mais comme le but de Leibniz est de fournir un concept de la représentation qui soit accessible à la raison, l’apologétique ne verse pas, comme habituellement, dans l’énoncé des mystères de Dieu, dont la sagesse ne serait perceptible que dans un acte de foi, mais renforce la perception que nous nous faisons de la cohérence du monde et de l’action divine. Le Discours est tout sauf un traité de bigoterie. Ce n’est pas bonté que d’être le produit de la création arbitraire d’un être bon. Et ce n’est pas liberté, même divine, que d’agir en s’écartant de ce que prescrit la raison. Si la foi a sa place, à côté et au-dessus de la raison, c’est parce que Leibniz a su montrer qu’elle était d’abord une sorte de confiance rationnelle dans l’absolue sagesse divine. Rien n’oppose plus donc la science et la religion. Pour preuve encore ce Discours qui au détour du cheminement proposé sait produire par exemple une théorie physique nouvelle fondée sur la notion de la force (la dynamique) en remplacement, ou plutôt en correction, de la mécanique cartésienne et de ses lois du mouvement. On n’avait jamais aussi bien essayé de dire que la réflexion rationnelle (donc l’observation du monde, la physique, et les mathématiques) peut se montrer la plus courte voie pour conduire à la foi.

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