Félix Vallotton, Intimité(s)… et le regard de Jean-Philippe Toussaint
De retour de Tunisie, où j’ai passé une partie de cette fin d’octobre (avec quelques lectures que je chroniquerai au fil des prochaines semaines), j’ai fait halte une journée à Paris, à cause de retards de train. J’en ai profité pour voir quelques expositions, dont la belle présentation consacrée aux Impressions nabis à la BNF-Richelieu. Cela faisait des décennies que je n’étais pas retourné dans ce lieu: j’y ai retrouvé cette atmosphère feutrée, un peu surannée, la belle salle ovale, et le joli musée. C’est dans la boutique, en sortant, que je suis tombé sur ce livre — Félix Vallotton, Intimité(s)… et le regard de Jean-Philippe Toussaint —, à côté d’une belle réédition du Voyage d’Urien de Gide illustré par Maurice Denis, dont je reparlerai sans doute bientôt. J’ai toujours beaucoup aimé Vallotton, en particulier ses gravures: un choc silencieux, entre ironie et noirceur. C’était l’occasion d’en ramener quelque trace avec moi.
Publié aux Éditions Martin de Halleux, ce beau-livre rassemble en effet la célèbre suite de gravures que Vallotton réalisa en 1898 pour La Revue blanche, les fameuses Intimités: dix planches au noir et blanc tranchant où se joue tout un théâtre bourgeois — désir, hypocrisie, tendresse, ennui. On y retrouve aussi d’autres bois gravés: La Paresse, Le Bain, La Symphonie… autant de scènes d’intérieur observées avec une ironie précise et froide.
J’ai été heureux de retrouver parmi ces pages un texte de Jean-Philippe Toussaint, dont j’avais apprécié La Clé USB. Quelques pages brèves, un ton juste: il accompagne Vallotton sans le commenter, avec la même retenue, la même attention au silence et aux gestes. Mais le livre doit beaucoup aussi au texte de Katia Poletti, conservatrice à la Fondation Félix Vallotton, qui replace ces gravures dans leur contexte artistique et moral. Elle montre combien la série des Intimités s’inscrit dans le climat fin-de-siècle: celui d’une société bourgeoise que Vallotton observe sans indulgence, en révélant derrière les intérieurs paisibles la violence contenue des rapports humains. Son analyse, précise et documentée, restitue aux planches leur poids d’époque — l’ambiguïté du désir, la tension des corps, la froideur des meubles. Ce regard érudit équilibre la rêverie littéraire de Toussaint et fait de l’ensemble un vrai dialogue entre histoire de l’art et écriture contemporaine.
L’objet, lui, est superbe : format généreux, papier mat, typographie soignée. On tourne les pages lentement, comme on avance dans un album ancien. Le livre invite à la lenteur du regard — ce temps que réclame l’intimité, justement.
Je profite de l’occasion pour rappeler qu’une grande rétrospective Vallotton se tient en ce moment (et jusqu’au 15.02.2026), à Lausanne, au Musée cantonal des beaux-arts: un parcours complet, de la gravure à la peinture. Mais de cela j’aurai sans doute aussi l’occasion de reparler…

Felix Vallotton, Le Bain
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