Claude PUJADE-RENAUD: Le Désert de la grâce

Claude PUJADE-RENAUD: Le Désert de la grâce

Pujade-Renaud, Le Désert de la grâceJanvier 1712, dans la vallée de Chevreuse, Claude Dodart, médecin du Dauphin, assiste au cours d’une partie de chasse à un étonnant spectacle: dans le vallon qui abrita naguère un monastère de femmes, des pierres renversées, la terre qu’on remue, des corps qu’on déménage. C’est tout ce qui reste de Port-Royal des Champs, détruit sur ordre du roi Louis XIV avec la faveur du pape et du puissant ordre des jésuites. Port-Royal, un monastère de moniales, coupées du monde depuis que la mère Angélique Arnaud, en 1609, rétablit la clôture, accompagnées dans leurs prières par quelques Messieurs, des Solitaires, au rang desquels le monastère compta quelques temps le célèbre Pascal. C’est là aussi que Racine, bravant post mortem la faveur royale dont il avait su être le si servile courtisan, demanda par testament que son corps fut enterré.  Pourquoi cet acharnement, cette ferveur de part et d’autre au cours de tout un siècle? Port-Royal détruit, que reste-t-il? Des écrits? Un mythe? Imaginons que nous puissions convoquer à comparaitre les différents acteurs de ce drame. Ici commence une formidable enquête…

J’ai découvert le Désert de la grâce il y a quelques mois déjà, à l’occasion d’un travail sur Racine, et du challenge que je m’étais fixé alors: de lire – ou relire – tout Racine et de découvrir le plus possible à côté sur cet auteur que je place au Panthéon de mes écrivains préférés. Depuis, je suis venu à bout du théâtre complet, j’ai découvert en passant quelques beaux livres contemporains, dont le captivant récit de Nathalie Azoulai , Titus n’aimait pas Bérénice (chroniqué ici). Mais je n’ai pas trouvé le temps, le désir, l’esprit – la vie d’un blog est une chose chaotique, il faut après tout que cela reste un loisir, et puis les sollicitations appellent de nouvelles sollicitations – bref, j’ai laissé ces nombreuses billets là où je laisse l’essentiel de ma vie de lecteur: quelques mots griffonnés sur le rabat d’une couverture ou un bout de papier, glissés entre deux notes sur mon portable ou bien simplement rangés dans un petit coin de mon esprit où, le temps faisant son office, ils ne tarderont pas à s’effacer, à moins que par un hasardeux concours de circonstances une parole, une image, un jour en rappelle des bribes – mais ne sommes-nous pas constitués aussi de ces lambeaux d’écrits, de pensées en allées, ces panaches de présence inconsciente qui font de chacun de nous ce qu’il est aujourd’hui? Ces mots, il m’a fallu les retrouver à peu près sous autant de pensées, d’émotions, d’impressions accumulées que les livres pesant sur la pile sous laquelle, après près d’une semaine de recherches, j’ai fini par retrouver ce Désert de la grâce. La difficile chose que de chroniquer un livre qu’on a lu il a plusieurs mois déjà! Au stade où je me trouve, je serais presque tenté de laisser là ce billet avec une ultime pirouette du genre: voici le livre, il est très bien, lisez-le et racontez-moi à votre tour ce que vous en avez pensé. C’est ce que je dirai en tout cas à l’amie à qui j’ai promis de le prêter et qui m’a fait tirer ce livre de son oubli.

Mais comme je n’entends pas non plus faillir complètement à ma tâche, j’essaierai de rassembler toutefois quelques idées.

Pour qui ne connait pas l’œuvre de Claude-Pujade, je ne crois pas que ce livre soit l’entrée la plus facile. La forme un peu aride y est sans doute pour beaucoup. Mais c’est aussi ce que j’ai beaucoup aimé. Comme je le disais plus haut, ce livre est une enquête: porté par de multiples prises de parole, il raconte l’histoire de Port-Royal, la ferveur de ses partisans, la furie d’un pouvoir politique et religieux, pouvoir absolu qui ne pouvait tolérer cet asile de libre-conscience que fut Port-Royal, malgré la rigueur de sa règle de vie, le dénuement de ses fidèles, l’âpreté de la foi qui y était pratiquée – à moins que ce ne fut grâce à eux? Parmi ces voix, deux principales, celles de Françoise de Joncoux (que j’ai découverte à l’occasion), une de ces nombreuses femmes savantes que produit Port-Royal, archiviste de la mémoire du mouvement, qui contribua à sauver ce qu’il restait des écrits des jansénistes et à forger le mythe, et celle de Marie-Catherine Racine, que l’auteure imagine à la recherche de la vérité de son père. Qui était Racine, janséniste, tragédien, courtisan? Où est la vérité d’un homme travaillé, tiraillé par les deux passions de son siècle: la gloire et la grâce? Et que furent ces jansénistes qu’on réduit trop souvent aux Messieurs qui entourèrent, bordèrent le mouvement, sans l’encadrer: Arnaud, Pascal, Nicole…? Une histoire de femmes? De famille?

En parallèle à ces deux voix, le roman de Claude Pujade-Renaud est le récit effrayant d’une destruction systématique. Pas du religieux par le politique – l’auteure est trop subtile, trop fine lectrice des textes, de l’histoire, pour réduire Port-Royal à cette vulgate. Non, plutôt la rage d’un pouvoir – spirituel et politique – à anéantir un mouvement spirituel en quoi il n’a cessé de voir une source de contestation politique possible: la tragédie de Port-Royal est celle de la libre conscience. Paradoxe d’un mouvement qui mêla le plus grand conservatisme (le retour à saint Augustin contre les nouveautés des jésuites, le rétablissement de la clôture) et l’annonce d’une sensibilité nouvelle (acharnée, sans concessions, nouvelle c’est-à-dire féminine, dans la défense de la libre-conscience et le goût pour le combat intellectuel).

12 réflexions sur « Claude PUJADE-RENAUD: Le Désert de la grâce »

  1. j’aime à peu près tout de cette dame, son premier roman La nuit la neige est superbe, son roman sur Sylvia Plath, et celui sur Saint Augustin dont je me suis régalé
    mais mon préféré je crois c’est celui là, j’avais lu à l’époque une biographie de Racine et de Pascal et l’essai sur Port Royal de Laurence Plazenet, je trouve que ce roman trouve parfaitement sa place

    1. Je note ces deux titres dont tu n’es pas la première à me parler. Je vais continuer, je crois, à explorer l’oeuvre de cette auteure.

  2. Je n’ai encore jamais lu cette auteure. Pourtant, je passe souvent devant son étagère à la bibliothèque mais ne sais jamais lequel choisir … Pourquoi pas celui-là ? On te sent conquis.

    1. Celui-ci est quand même un peu aride. Je ne sais pas si pour une découverte ‘Dans l’ombre de la lumière’ ne serait pas plus accessible. Si cela t’intéresse, tu trouveras ce que j’en ai pensé quelques billets plus haut.

  3. J’ai la mémoire qui flanche : j’étais persuadée, voyant ton billet, d’avoir déjà chroniqué ce livre chez toi puis, en y réfléchissant, je m’aperçois que c’était un autre titre de Claude Pujade-Renaud chez une autre blogueuse. N’importe quoi, donc.
    Bref, ceci mis à part, l’auteure semble fleurir sur les blogs en ce moment ! Pour ma part, j’avais beaucoup aimé son titre sur Sylvia Plath et Ted Hughes ; l’as-tu lu ? Un autre m’attend dans ma PAL : j’ai hâte!

    1. Non, je ne l’ai pas lu. Mais il est sur ma liste. J’ai acheté aussi le gros volume des oeuvres de Sylvia Plath en Quarto/Gallimard. Je pense lire les deux en parallèle cet été, si j’ai le temps. ‘La nuit la neige’ me tente beaucoup aussi.

  4. La Nuit la Neige m’a laissé un souvenir formidable , en effet
    . Mais la dame a aussi de l’humour, quand elle écrit “nos chers disparus” , les grands écrivains racontés par leurs femmes 😉
    Ce Désert de la Grâce je l’avais trouvé bien aride, en revanche…je crois bien même m’y être poliment un peu barbée , au fond 🙁

    1. Je reconnais que ce roman est assez aride, mais j’ai été emporté par le sujet. D’ailleurs l’aridité du propos et de la construction n’est pas sans rapport avec l’esprit de Port-Royal. C’est ce que j’ai trouvé très réussi justement.
      Il faut absolument que je lise La nuit la neige. Je n’en entends que du bien.

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