CHATEAUBRIAND: Mémoires d’outre-tombe, livres I à XII (partie 1)

CHATEAUBRIAND: Mémoires d’outre-tombe, livres I à XII (partie 1)

undefined J’arrive au bout du livre XII des Mémoires d’outre-tombe, ce livre océan de presque 2500 pages, c’est-à-dire à la fin de la première partie. Les Mémoires, ce sont quatre grandes parties qui sont les quatre carrières de l’écrivain. 1768-1800: la “carrière du voyageur”; 1800-1814: la “carrière du littérateur”; 1814-1830: la “carrière de l’homme d’État”; 1830-1848: “les heures de loisir [d’un] naufragé”.Du livre I au livre XII donc, on suit Chateaubriand jusqu’en 1800: l’enfance en Bretagne, à Saint-Malo puis à Combourg, la carrière des armes et la présentation à Versailles, les débuts de la Révolution française, le voyage en Amérique, le retour en France pour participer à l’équipée piteuse de l’Armée des Princes, et puis l’exil en Angleterre, la misère, l’amour impossible, la découverte des grands écrivains britanniques.

C’est la partie que je connaissais déjà un peu: j’avais lu, adolescent, des extraits du livre III (les journées et soirées à Combourg, son donjon, la sylphide), ainsi que les passages consacrés à la genèse d’Atala en Amérique. Mais j’ai découvert que ces textes ne sont vraiment beaux que replacés dans le projet d’ensemble. C’est la limite des extraits tels qu’on les pratique à l’école: j’y ai appris autour de 15 ou 16 ans que Chateaubriand était un de mes auteurs préférés. J’ai adoré René ou Atala. Et depuis, je ne l’ai plus lu. Les Mémoires d’outre-tombe sont un de ces livres dont je sais depuis toujours que c’est un livre pour moi, un de ces amis sur qui on pense un jour pouvoir compter, même si depuis des années je n’ai pas pris la peine de vraiment entretenir nos relations. Je crois que chacun, s’il est lecteur, a de ces livres qui l’attendent, qu’il sait qu’il aimera, mais dont pour une raison obscure il remet toujours la lecture.

Donc les Mémoires sont pour moi ce livre-là. Ce n’est pas exactement une autobiographie. Ou c’est plus que cela. Portrait d’une époque, compte-rendu d’une vie, récit introspectif et rétrospectif: on y trouve ce que d’habitude on rencontre dans ces livres où un homme parvenu à la fin de sa vie parle de lui à la première personne. Mais il y a d’abord, surtout, un projet littéraire, une coloration, une ambition sensible et intellectuelle dont on parle peu quand on n’en lit que des extraits et qui font la valeur du livre.

D’abord, les Mémoires ne sont pas que des mémoires. C’est aussi un journal. On suit Chateaubriand, dans la position où il est au moment où il écrit. Le récit par exemple de sa vie misérable à Londres à la fin du XVIIIème siècle peut s’interrompre pour que celui qui écrit, en l’occurrence en 1822 dans ce chapitre, nous raconte les dîners qu’il vient de donner, toujours à Londres, où il se trouve cette année là, mais en qualité d’Ambassadeur de France. Ainsi se produit un télescopage des temps qui est un des grands intérêts de ce livre.

L’autre intérêt est pour moi musical. C’est le développement que donne Chateaubriand, à la manière d’un compositeur, de ce thème indiqué dès l’ouverture, dès le titre: mémoires d’outre-tombe. L’auteur avait souhaité que son livre, composé pendant les trente dernières années de sa vie, ne soit publié que plusieurs décennies après sa mort. C’est donc un spectre qui nous parle, le fantôme d’un grand écrivain, surgi d’outre-tombe pour nous parler de lui et d’une époque révolue. Et ce thème contamine tout. Tout est occasion de relever le caractère évanescent de toutes choses. Il règne sur la société des XVIIIème et XIXème siècles, telles que les décrit Chateaubriand, une atmosphère crépusculaire, une ambiance de fin de monde. Et les évolutions du temps lui-même ne sont que décadence ou fausses espérances. Le temps, vengeur, unifie tout, égalise les conditions, en ramenant même les grands hommes à la loi à laquelle nul n’échappe, la loi du tombeau.

J’ai prévu de lire cette année l’intégralité des Mémoires d’outre-tombe. J’ajouterai ici une note quand je serai arrivé au bout progressivement des trois derniers livres qu’il me reste à lire. J’espère ce faisant en convaincre quelques uns de se lancer aussi dans cette belle aventure.

9 réflexions sur « CHATEAUBRIAND: Mémoires d’outre-tombe, livres I à XII (partie 1) »

  1. Un beau billet. Ton enthousiasme est porteur! Je n’ai jamais eu le courage de lire les Mémoires de Chateaubriand en entier mais j’ai lu toute l’enfance et l’adolescence sur lesquelles l’écrivain
    âgé porte un regard plein d’humour et de nostalgie. Ce sont les mots qui me viennent spontanément quand je pense à ces récits.. Il ne prend pas encore la pose comme il le fait parfois dans certains
    de ses écrits. Sa prose est très belle, tu as raison de dire que c’est une musique. Mais parfois j’y vois un manque de sincérité. J’ai donc envers Chateaubriand des sentiments mitigés entre
    admiration et agacement.

  2. Ceci est ma première visite sur votre blog. Je ne suis pas décu, une petite recherche sur blog o book m a propulsé ici.
    Quelle joie de rencontrer une amoureuse inconditionnelle de Chateaubriand ! Cet article est fort bien écrit. Vivement le prochain billet sur les MOT.

    J´avais étudié au lycée le passage du diner familial en plein hiver au chateau de Combourg, toutefois je garde un tres bon souvenir de cette étude de texte.

    Ce Chateaubriand, coincé entre deux époques, quel romantique. Certains disent de lui qu´il est vaniteux, mais pour moi la vanité c est plutot Rousseau avec ses Confessions, écrits regorgeant de fausse modestie.
    J adore ce passage des Mémoires d´Outre Tombe à propos de Rousseau :

    “Rousseau croit devoir à sa sincérité, comme à l’enseignement des hommes, la confession des voluptés suspectes de sa vie ; il suppose même qu’on l’interroge gravement et qu’on lui demande compte de ses péchés avec les donne pericolanti de Venise. Si je m’étais prostitué aux courtisanes de Paris, je ne me croirais pas obligé d’en instruire la postérité “.

    Revenons aux XII premiers livres, chaque phrase de cette premiere partie des mémoires que vous avez lu est empreinte d´un telle mélancolie.

    “A mesure que ces Mémoires se remplissent de mes années écoulées, ils me représentent le globe inférieur d’un sablier constatant ce qu’il y a de poussière tombée de ma vie : quand tout le sable sera passé, je ne retournerais pas mon horloge de verre, Dieu m’en eût-il donné la puissance.”

    Un des plus jolis passages à mes yeux est l´extrait du journal de Lucile intitulé l´Aurore.

    ” Quelle douce clarté vient éclairer l’Orient ! Est-ce la jeune aurore qui entrouvre au monde ses beaux yeux chargés des langueurs du sommeil ? Déesse charmante, hâte-toi ! quitte la couche nuptiale, prends la robe de pourpre ; qu’une ceinture moelleuse la retienne dans ses noeuds ; que nulle chaussure ne presse tes pieds délicats ; qu’aucun ornement ne profane tes belles mains faites pour entrouvrir les portes du jour. Mais tu te lèves déjà sur la colline ombreuse. Tes cheveux d’or tombent en boucles humides sur ton col de rose.
    ” De ta bouche s’exhale un souffle pur et parfumé. Tendre déité, toute la nature sourit à ta présence ; toi seule verses des larmes, et les fleurs naissent. ”

    Ps : pardonnez moi le manque d accents, j´éscarmouche avec un clavier allemand :s ,
    Pardonnez egalement mon emphase !

  3. @Louis: bienvenu sur mon blog, et merci pour ce long commentaie enthousiaste. J’ai toujours le projet de poursuivre ma lecture des Mémoires, mais les livres s’ajoutent aux livres
    et ton commentaire vient me rappeler qu’il serait temps que je me plonge de nouveau dans la lecture de Chateaubriand.

  4. Comme Lou, je viens de découvrir votre blog. Chateaubriand… je l’ai un peu délaissé. Ses mémoires m’attendent sagement, j’attends d’avoir un peu de temps. Je l’ai abandonné il y a plusieurs été de cela alors qu’il partait… vers Constantinople, me semble-t-il. Et c’est Combourg et le terrible père de l’auteur qui me reviennent à l’esprit. Souvenirs un peu flous de l’Angleterre…

  5. J’aimerais bien le lire un jour, tout comme j’aimerais bien relire d’une traite A la recherche du temps perdu.
    Pour la remarque sur les extraits étudiés à l’école, je trouve aussi que la plupart du temps, ils ont un effet dissuasif ! C’est bien dommage…

  6. Ces extraits que chacun étudie à l’école sont également l’occasion de belles découvertes. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il faille en blâmer l’enseignement de la littérature. Dans les conditions dans lesquelles les professeurs enseignent, ils peuvent difficilement faire autrement que d’en rester à des extraits. C’est quand même la possibilité d’entrer dans le détail d’un texte. Mais le bloc coupé du tout dont il n’est qu’un fragment perd en partie sa cohérence, c’est la signification de l’oeuvre qui échappe, et une partie donc du plaisir. D’où la frustration qu’ont parfois éprouvé dans leur jeunesse d’authentiques et véritables lecteurs.Je vois que tu restes fidèle à mon blog, même si depuis une semaine je tarde à ajouter de nouvelles notes. Patience. J’ai sous la main quelques critiques de livres que je publie au plus tard ce week-end…

  7. Quel superbe blog ! A ma grande honte, je connais bien peu mes classiques mais ma récente découverte de “Pauline” de Dumas me donne envie de découvrir les auteurs français du XIXe. Tombée par hasard sur votre blog j’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos derniers articles. Je reviendrai avec plaisir !

  8. Bienvenue sur mon blog. Votre commentaire est vraiment trop élogieux. Vous allez me faire rougir! Mais je suis heureux de pouvoir partager ici avec d’autres mes plaisirs de lecture. J’ai consulté votre blog. J’aime bien votre façon très personnelle d’y parlez des livres. Je crois que je vais devenir à mon tour un de vos lecteurs réguliers. A bientôt.

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